
Le thermomètre grimpe haut. 10 heures tapantes, «Bountou Pikine» secoue ses nervures sous la canicule qui torture les caboches des valeureux débrouillards. Des automobiles en file indienne, patientent nerveusement pour accéder dans les tréfonds de la populeuse bourgade. A droite, le chemin qui mène vers Parc Lambaye, spécialisé dans la vente de bois et de carreaux, est obstrué par des hommes suant à grosses gouttes avec leur pousse-pousse. Logé derrière le marché aux poissons de Pikine, le Quartier général (Qg) des Laobés (groupe socio ethnique spécialisé dans le travail du bois) ouvre ses portes. Une route sinueuse et sablonneuse encombrée par les charrettes et les camions qui manœuvrent hargneusement, mène à leur repaire.
Sur les lieux, toute présence inhabituelle est détectée. Certains vous hèlent en se frottant les mains d'avance, avec l'espoir à peine dissimulé de faire une bonne affaire. D'autres émettent des œillades taquines ou des sifflotements moqueurs. Bredouilles, ils tournent les talons pour vaquer à leurs occupations. A quelques pas de là, réunis autour d'un frugal petit déjeuner, trois hommes maladroitement juchés sur de grossiers morceaux de bois, discutent en échangeant des fous rires. Mais, à peine le mot gourdin prononcé, les regards deviennent fuyants, les masques se cabrent. Mais quelle est donc cette arme en vogue si redoutée, cette «monstrueuse» sculpture parfois ciselée avec un design particulier ? Qui donc est cette «laideronne» quotidiennement harcelée par les flashs des photographes et dénudée sans vergogne sous les feux des projecteurs ? Qui en sont les détenteurs ? A quelles fins ? A Parc Lambaye, les réponses sont vagues, furtives, aériennes. Certains feignent de n'y rien comprendre, d'autres, sous un prétexte fallacieux, s'esquivent en toute hâte. Puis, dans cette fuite en avant bien calculée, une réponse sèche et brève finit par tomber : «Nous ne fabriquons pas de gourdins. Allez voir dans les autres ateliers situés plus haut».
«Agents de sécurité, gardiens, chauffeurs de transport en commun ou de taxi, la plus grande clientèle»
La direction indiquée n'est guère engageante. Dans des ateliers à l'aspect malfamé, des hommes s'échinent sur d'énormes tas de bois d'où sortiront de magnifiques chaises en bois, des mortiers ou encore des tablettes et des planches à pâtisserie. Des femmes, restauratrices, sont occupées à la préparation du repas de midi dans des gargotes de fortune. L'endroit indiqué est vide. Hormis une nichée de chatons nourris par leur génitrice lovée sur un rustique morceau de tissu jeté là par le propriétaire des lieux, l’atelier brinquebalant menace de s'écrouler à chaque instant. Subitement, surgi de nulle part, Mody Sow, un quinqua à l’allure rachitique, déboule. Terminant d'avaler un morceau rassis de pain, il salue d'un air débonnaire et menaçant ; «Que voulez-vous ?» Informé de l'objet de notre visite, le ton se radoucit pour devenir plus conciliant. «Asseyez-vous», nous invite-t-il à prendre place sur un tabouret inachevé, avant de se lancer dans ce qui ressemble plus à un aveu de culpabilité. «Nous ne fabriquons plus de gourdins. En fait, nous sommes plus spécialisés dans la fabrication de mortiers et autres matériels. On fabrique de temps à autre des gourdins et ce sont surtout les agents de sécurité, les gardiens et les chauffeurs de taxi ou de transport en commun qui nous passent des commandes. Mais depuis qu'il y a eu ce tollé suscité par les gourdins et que des personnes ont été interpellées, nous avons arrêté d'en sculpter. Par précaution surtout, mais aussi pour éviter des ennuis avec la police», narre d'une voix nasillarde Mody Sow, 50 ans. Cheveux dissimulés dans un bonnet crasseux, un large maillot dissimulant mal sa poitrine squelettique, pantalon bouffant qui tombe sur des sandales grèges, le bonhomme qui totalise 20 ans d'expérience dans le métier, explique ; «Vous pouvez. faire le tour des parcs, c'est la même réponse qu'on vous servira.» Il n'en dira pas plus.
«Un gourdin peut coûter entre 500 et 5000 francs»
Loin de la populeuse banlieue dakaroise, le quartier Bopp s'ébroue timidement en cette mi-journée de jeudi. Les échoppes du coin dévoilent paresseusement leurs enseignes. Comme engourdies par la léthargie partielle qui gèle toutes les activités dans la capitale, depuis le début de la campagne électorale. Au rond-point, un policier, sifflet à la bouche, règle la circulation des véhicules. Alignés sur un pan du trottoir droit côtoyant les vendeurs de mobilier, les artisans Laobés établis à Bopp suent à grosses gouttes sous la chaleur d'étuve qui a fini de plomber l'ardeur de certains, qui, en quête de fraîcheur; cherchent refuge sous l'ombre des officines. Sur les lieux, ça crie et ça discute bruyamment. Le toc-toc des hachettes et marteaux s'abattant sur les monceaux de bois mêlés aux sous distillés par une radio, surcharge l'atmosphère d'une insoutenable cacophonie. A quelques pas du groupe des hommes, des femmes terminent de mettre la touche finale (polissage et peinture) à des mortiers déjà sculptés. Ici, point de trace de gourdins. Seules des masques, des djembés (tam-tam) et autres mortiers ou planchettes sont ciselés. En attestent les propos de Mamadou Gadiaga, Laobé et sculpteur. «Dans nos ateliers, nous fabriquons surtout des œuvres d'art comme celles exposées ici. Nous collaborons avec des étrangers qui passent d'importante s commandes de Djembés (tam-tam). Je n'ai jamais eu vent d'une commande de gourdins ces derniers temps. Je ne dirais pas qu'on n'en a jamais fabriqués ici. Cela se fait souvent en toute clandestinité et ce sont les apprentis, qui à la descente, pour avoir de la menue monnaie, en fabriquent sans en aviser au préalable leur supérieur. Mais aujourd'hui, avec le contexte, l'industrie des gourdins s'est déplacée dans les régions». Regard dissimulé derrière des lunettes de soleil, Mamadou Gadiaga se prête spontanément au jeu des questions/réponses. S'aventurant même dans quelques digressions. « Les gourdins sont fabriqués selon la bourse du client. Les prix varient entre 500 et 5000 F Cfa. Tout dépend de la qualité de la sculpture souhaitée», informe-t-¬il. Souvent sculptés dans du bois dit d'ébène, Djibouti et Teck, «le gourdin peut même être ciselé avec le bois du «Nim». Et seul le commanditaire pourrait dire à quelle fin il destine son gourdin. Vous ne pouvez pas savoir, a priori, pour qui et à quel usage il est destiné. Cela peut être pour un citoyen anonyme ou pour des politiciens, personne ne peut savoir», avoue-t-il, énigmatique.
«Je garde toujours un gourdin sous le siège de mon véhicule pour me défendre»
Mamour Sy, taximan, râle d'impatience devant un automobiliste qui, voulant s'extirper du bouchon monstre, peine à effectuer un demi-tour sur la chaussée. «Tu es trop lent. T'as ramassé ton permis dans une poubelle ou quoi ? Il faut braquer à fond», fulmine-t-il, descendant de sa carcasse ambulante pour assister le malheureux conducteur. Remontant dans son véhicule, il glisse sa main, sous son siège pour réajuster un bout de bâton. «Attendez que je cache bien mon compagnon de tous les jours», sourit-il de ses petites dents blanches.
En fait de compagnon, Mamour, physique sahélien tassé dans un pantalon noir sur un tee-shirt quelconque, fait allusion à son gourdin. Quid de sa présence en pareil lieu ? Il glisse un sourire entendu, avant de confier : «C'est pour ma protection. Avec mon métier, on ne sait jamais d'avance à quel individu on peut avoir affaire. Et comme je n'ai pas un permis de port d'armes à feu, je m'en sers pour ma défense. Mon métier est très risqué et quand vous faites face à un agresseur, il n'y a rien de tel pour le décourager. »
Comme Mamour, M. Diallo a aussi sa «botte secrète infaillible» contre de potentiels malfaiteurs. «Le gourdin peut être très efficace pour dissuader certains audacieux. Je me rappelle une fois, j'étais en pleine circulation lorsqu'un quidam a donné un violent coup à l'arrière de mon véhicule: Pensant avoir affaire à un passant imprudent, je n'y ai pas prêté attention. Le gus a remis cela, m'enjoignant par des gestes intimidants, de le rejoindre. J'étais au courant que les agresseurs usaient de ce système pour vous chaparder portable et radio. Je l'ai ignoré, il a insisté dans sa provocation. Mais lorsque j'ai brandi, d'un air menaçant mon gourdin sous ses yeux, il a filé sans demander son reste», se remémore-t-¬il, dans un sourire malicieux. «en tout cas, entre les mains d'un averti, le gourdin peut-être une redoutable arme». C'est Mamadou Gadiaga, sculpteur devant l'éternel, qui l'avoue...
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