
En cet après-midi ensoleillé, un vent frais balaie les abords de la mer. Il faut arpenter un sentier sinueux recouvert de latérite pour accéder au lieu. Sur place, un homme mystérieux ayant l’aspect d’un fou nous fait face. Il a fallu prendre notre courage à deux mains pour l’approcher et espérer lui soutirer des informations. Pour preuve, il a décliné notre salutation à deux reprises, s’emmurant dans un silence déconcertant. Notre insistance finit par payer car il acceptera finalement, au bout d’un long suspense, de s’ouvrir à nous. On l’a surpris assis sous sa tente, enturbanné et drapé dans un caftan bleu délavé sur fond vert dégageant une odeur pestilentielle qui trahit mal la propreté de son corps.
Mode de vie
Le mystérieux occupant de la tente nichée sur la Corniche, tout près de la «Place du Souvenir», n’est personne d’autre que Mohamed Ousmane Aïdara. L’homme vit seul, sans femme ni enfant, dans une tente de moins de 8m2 avec le minimum de matériels de literie et d’ustensiles de cuisine qui lui permettent de satisfaire tant bien que mal une «vie d’ascète» au quotidien. Une bouteille de coca cola et d’eau, du thé, des sachets de sucre, trois bonbons et trois exemplaires du Saint Coran attirent l’attention du visiteur. Les rares fois qu’il s’essaie à la cuisine malgré l’hostilité des rafales de vent que charrie la mer, c’est pour mitonner des mets dont il raffole comme le riz au poisson qui est de loin son plat préféré. Trois pierres posées à même le sol derrière la tente lui servent de supports de cuisine.
Quand l’envie de se laver lui prend, il fait juste les cent pas pour puiser l’eau de mer. Mais il ne se lave jamais avec du savon. Seule la nécessité de se ravitailler le contraint momentanément à quitter son abri de fortune. Même si les tâches ménagères ne lui posent pas de souci particulier, le marabout envisage tout de même de se marier à une belle femme (c’est son expression) et d’avoir des enfants à qui il transmettra un jour ses secrets.
Un don divinatoire qui provoque le «rush» des personnalités
À l’en croire, Mohamed Ousmane Aïdara est doté d’un don divinatoire qui lui confère des pouvoirs mystiques lui permettant d’exaucer les vœux des clients de toutes catégories sociales qui viennent le consulter sur leur avenir. Des personnalités de premier plan se rendraient certaines nuits chez lui pour solliciter des prières. Il affirme ainsi avoir réglé les problèmes de maintes personnalités (il se refuse à citer des noms) qui lui ont convoyé toutes sortes de cadeaux à bord de leurs luxueuses voitures. Rien qu’en notant, en arabe, le nom du visiteur sur un papier blanc, des révélations lui sont transcrites directement sur ledit papier. C’est alors qu’il lit textuellement la teneur à l’intéressé. Pour cela, il est obligatoire de lui transmettre les coordonnées de la personne le jeudi soir et les résultats sont restitués le vendredi matin à partir de 10h. Les autres jours, la voyance lui permet juste d’annoncer les sacrifices à faire pour être chanceux dans la vie. La particularité du mystérieux marabout est qu’il ne fixe pas de sommes ; c’est au solliciteur de le rétribuer en fonction de ses moyens.
L’«ami» des djinns
La croyance populaire en Afrique, d’une manière générale, et au Sénégal en particulier, enseigne que toute personne vivant au bord de la mer n’est pas un être «ordinaire». Cette perception des choses repose sur la pensée collective véhiculant l’idée selon laquelle la mer n’est fréquentée la nuit que par des esprits invisibles. Mohamed Ousmane Aïdara serait-il un homme non ordinaire ? Il répond par l’affirmative. Selon lui, les 25 ans de présence sur les lieux suffisent comme preuve car aucune personne normale ne peut tenir si longtemps en bordure de mer sans craquer, parce que la mer est très dangereuse la nuit. D’ailleurs, il prétend communiquer la nuit avec des esprits invisibles qui ne sont rien d’autre que des «djinns». Ces derniers ne peuvent pas être aperçus par une simple personne ; il faut avoir un pouvoir mystique certain pour être dans leurs bonnes grâces. Des «djinns», hommes ou femmes, me rendent souvent des visites nocturnes pour me demander de leur donner du riz au poisson à manger et de l’eau à boire en guise d’offrande. En retour, ils me mettent sous leurs ailes protectrices et me donnent des secrets qui consolident les pouvoirs que j’ai déjà acquis. Ils me considèrent comme un ami et un membre à part entière de leur communauté. Le marabout dit avoir résisté à la tentation de certaines personnes malintentionnées qui voulaient le déguerpir lors des travaux de l’Anoci (Agence nationale de l’organisation de la conférence islamique) grâce à sa collaboration avec ces esprits invisibles.
Un être asocial
Marginal, Mohamed Ousmane Aïdara l’est décidément. 25 ans de solitude ont fini de le convaincre de l’impossibilité de vivre en société. «Je ne peux plus vivre avec les gens. Même si je parvenais à avoir une femme, chose que je souhaite vivement, je la laisserai vivre seule chez ses parents, car moi je continuerai à vivre en bordure de mer», se plaît-il à dire. Il va même plus loin en affirmant son désir d’habiter éternellement sous cette tente. Le marabout soutient pouvoir travailler partout, mais seulement la proximité de la mer lui assure une variété mystique et une garantie pour que ses prières soient exaucées. Il se plaît à rappeler que personne ne viendra troubler sa tranquillité en le délogeant des lieux à cause de ses prières. Mais aussi il se dit un homme juste, pieux, franc et honnête, c’est pourquoi il n’est nullement inquiété. Arnaque ou pas, Mohamed Ousmane Aïdara affiche une sérénité à toute épreuve.
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