
Adopté en Conseil des ministres avant-hier, le projet de loi modifiant l’article 29 de la loi 2004-09 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux est une parade trouvée par le pouvoir en place pour brider le procureur de la République et du coup, sauver les délinquants à col blanc qui grouillent dans les plus hautes sphères étatiques.
«Le Conseil a examiné et adopté le projet de loi portant modification de l’article 29 de la loi 2004-09 du 6 février 2004 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux». Cette phrase, noyée dans le communiqué du Conseil des ministres du jeudi 3 mars 2011, vient de porter un sacré coup à la lutte contre le blanchiment d’argent au Sénégal. En ce sens que si elle est votée par le Parlement (Assemblée nationale et Sénat) et promulguée par le chef de l’Etat, cette loi permettra de rendre inefficace le travail de la Cellule nationale de traitement de l’information financière (Centif). Ce, parce que le procureur de la République ne sera plus dans l’obligation d’ouvrir une instruction quand un dossier de blanchiment de capitaux lui sera transmis par la Centif.
60 milliards d’argent blanchi…
En effet, soumis à l’autorité politique du ministre de la Justice, donc du président de la République, le Parquet, avec cette nouvelle loi, diligentera les dossiers de blanchiment d’argent en fonction de la tête du client. Et aussi, bien entendu, des rapports de ce dernier avec le pouvoir en place. Alors que la loi actuelle se veut très claire : quand un dossier est transmis au procureur de la République, il a obligation de le transmettre au Juge d’instruction qui ouvre immédiatement une information judiciaire. «Lorsque les opérations mettent en évidence des faits susceptibles de constituer l’infraction de blanchiment de capitaux, la Centif transmet un rapport sur ces faits au procureur de la République, qui saisit immédiatement le juge d’instruction», dit l’article 29 de la loi uniforme 2004-09 du 6 février 2004 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux.
Outre ce fait qui limite l’action du procureur de la République, il faut également souligner que ce nouveau texte est une violation des textes communautaires en matière de lutte contre le blanchiment d’argent. En effet, comme le Code des marchés, cette loi uniforme est d’inspiration communautaire. Et ainsi, toute modification la concernant ne doit pas sortir de la directive de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa) qui l’a instituée.
…De hautes personnalités mouillées
Qu’est ce qui peut être à l’origine d’une telle reculade de la part des autorités en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux ? D’après nos informations, c’est le rapport dénommé «Affaire Demba Hamel Sy et autres» qui a été bouclé et transmis au procureur de la République près le Tribunal régional Hors classe de Dakar par la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif). Révélé en novembre dernier par l’hebdomadaire «La Gazette», ce dossier met en scène trois cambistes tous de la même famille qui ont acheté en devises, auprès de deux banques, pour un montant cumulé de près de 60 milliards de francs Cfa, soit 57,6 millions d’euros et 33,465 millions de dollars.
Violation des textes communautaires en matière de blanchiment d’argent
Un dossier qui a des ramifications insoupçonnées dans les hautes sphères de l’Etat avec des personnalités de premier plan nommément cités comment étant les bénéficiaires de ces opérations de blanchiment d’argent. L’on parle même de personnes détenant «des coffres» chez elles et à partir desquels l’argent sale sortirait pour arpenter les circuits légaux.
Ainsi, par cette loi, l’on tenterait de faire échapper ces personnalités à l’obligation de défiler devant le juge d’instruction. D’ailleurs, nos informateurs au sein du Parquet font savoir que le rapport dénommé «Affaire Demba Hamel Sy et autres», depuis sa transmission au procureur en novembre dernier, dort encore dans les tiroirs et n’attendrait que le vote de cette loi pour qu’il soit couvert d’un voile épais.
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