
L'étranger qui débarque à la station
balnéaire peut être frappé par la tenue indécente de jeunes filles en plein
jour se pavanant dans les rues. Et parfois, elles le font même bras dessus
dessous avec des expatriés. qui peuvent avoir l'âge de leurs pères. Nous sommes
à Saly, cette partie du Sénégal où la chair se vend à coups d'euros et non en
termes de francs Cfa. N'en déplaise à ceux qui refusent la réalité, le tourisme
sexuel est bien présent dans la Petite Côte. Aussi, on peut se cacher derrière
un emploi de gouvernante, de coiffeuse, de commerçante, de vendeuse d'objets
d'arts pour s'adonner à une prostitution qui ne dit pas son nom. Mais à côté de
ces clandestines, on trouve des prostituées professionnelles comme Binette que
nous avons trouvée à Saly. Elle nous raconte comment elle est entrée dans le
métier. « J'ai commencé à me prostituer il y a cinq ans de cela. Je faisais la
Seconde et j'ai dû arrêter les études. Mon père qui était un taximan « sirouman
» (qui n'a pas sa propre voiture) a fini par perdre son travail du fait de
troubles mentaux. A la maison, il y avait des problèmes pour bouillir la
marmite. Etant l'ainée de la famille, j'ai décidé d'abandonner l'école et de
venir à Saly. Quand je suis venue ici, je travaillais comme domestique pour un
européen qui prenait en charge mon loyer. Il m'a pressée comme un citron. C'est
petit à petit que je suis entrée dans ce métier », nous confie Binette.
La crise du tourisme a touché de plein fouet les travailleuses du sexe qui se rappellent au beau souvenir du temps du développement du secteur. « Les affaires ne marchent pas actuellement sur la Petite côte. Les expatriés avaient peur des élections. Ils ne sont pas nombreux à venir cette année. Nous en avons bien souffert. L'essentiel, c'est de trouver un client de luxe qui peut te filer plus de 80 Euros pour une partie de jambes en l'air. Certains clients refusent d'user de capotes, dans ce cas le prix devient plus cher », se désole notre interlocutrice qui ne manque pas de déplorer une concurrence déloyale des clandestines.
« Dans les résidences, on peut voir un
Toubab qui héberge sa petite amie pendant une semaine. Ce qui se passe, dans
ces résidences est grave. On parle de prostitution mais ce qui se passe dans
ces résidences est encore plus grave », insiste-t-elle Ces travailleuses du
sexe n'habitent pas toutes Mbour et ses environs. Elles viennent pour la
plupart des autres villes comme Thiès, Kaolack, Dakar, etc. Car, on ne se
prostitue pas là où on habite mais plutôt où on n'est pas connue. A Mbour, les
prostituées professionnelles étaient consultées, un jour de la semaine au poste
de santé.
Et tout le monde savait que tel jour,
il y avait le matin les prostituées qui faisaient la queue à Santassou. «
Aujourd'hui, les choses ont changé. Pour éviter la stigmatisation, on les
regroupe avec les autres femmes au centre de santé de Téfess et elles ne sont
plus reçues séparément. Chaque jour, nous animons une causerie sur le Vih/Sida,
la transmission mère enfant, les consultations prénatales, le planning
familial. Il s'agit de l'intégration des services », nous confie la sage-femme
Tapa Ndiaye. Et de poursuivre : « Ce qui est plus grave c'est la prostitution
clandestine car il n'y a pas de protection. Or, avec les prostituées, il n'y a
pas de nouvellement infectées. Malheureusement, cette prostitution clandestine
est plus importante. Régulièrement, il y a une équipe mobile d'Enda Santé qui
fait la ronde dans les quartiers pour dénicher les prostituées clandestines et
les soumettre à des examens et dans chaque quartier, on en trouve un nombre
important ».
Les mineures aussi de la partie
Au centre de santé de Tefess, il n'y a pas que les travailleuses du sexe professionnelles qui viennent pour une consultation, il y a des mineures qui se prostituent même si elles n'ont pas l'âge requis pour exercer ce métier et un carnet sanitaire. Si les prostituées qui fréquentent les bars de Mbour comme Mama Magne sont payées en francs Cfa, celles qui se bousculent à l’Etage à Saly, le sont en Euros. Un client Toubab vaut mille fois un compatriote, c'est clair. Avec un Sénégalais, la passe ne dépasse point cinq mille francs alors que pour l'occidental la passe est d'au moins 80 Euros. Devant le bar Mama Ndagne se tient une femme au charme détruit par l'alcool et le vice, une cigarette à la bouche. Elle n'est pas sortie que pour prendre l'air mais plutôt pour appâter ...Ses rondeurs sont mises en exergue par des habits qui lui collent à la peau. Elle se paie une cigarette et lance « affaire yi doxoul tey, les affaires ne marchent pas aujourd'hui ».
Mama Magne
semble être le rendez-vous idéal des travailleuses du sexe où elles peuvent
facilement trouver des clients. Certains vont droit au but en entrant dans le
bar pour y trouver la femme de leur choix. D'autres préfèrent rôder tout
autour, guettant la bonne occasion. Et après un marché conclu on s'ébranle vers
l'un de ces quartiers populaires où elles vivent et travaillent. Mais si à
Mbour on raisonne en francs Cfa, à Saly, on parle d'Euros. L'étage est un bar
dancing à l'entrée de la station balnéaire. Même si on ne s'y embrasse pas,
c'est là-bas que se font les rencontres entre clients et travailleuses du sexe.
« J'ai des amis et collègues taximen
qui travaillent à l'Etage mais moi cela ne me chante pas car je ne veux pas
entrer dans cette mafia. Tous les jours on peut avoir une femme qui est venue
spécialement de Dakar pour passer la nuit à Saly et cela fait l'affaire des taximen.
Mais, moi, je n'ai plus le cœur à me rendre à l'Etage », nous confie un jeune
taximan.
Mais qu'est-ce qui pousse les femmes à
se prostituer ? La plupart comme Binette invoquent la pauvreté. Pour d'autres,
ce sont les abus sexuels dont elles seraient victimes qui seraient à l'origine
de leur choix. Dans tous les cas, toutes avouent y trouver leur compte et il
est difficile pour elles de sortir de l'engrenage. « Une fois qu'elles prennent
leur décision, il est difficile d'en sortir. Il arrive que certaines expriment
la volonté d'arrêter mais leurs collègues de même que les clients ne le leur
permettent pas: Il y a un véritable lobbying qui se dresse contre elles au
point qu'elles se résignent à rester », avance Mme Tapa Ndiaye.
Néanmoins, on peut toujours en trouver
certaines qui réussissent à s'échapper et à s'insérer dans la société pour une
autre vie.
L'œil d'un touriste déçu
La fée munie de sa baguette tape sur la
citrouille et celle-ci devient un carrosse grâce auquel Cendrillon peut se
rendre au bal du-roi. Voyager en avion relève pareillement de la magie. Je
quittais Paris par 10 degrés sous zéro pour arriver à Dakar par 30 degrés au
dessus de zéro.
Je quittais les champs de céréales déjà
verts pour la savane aride et sèche; mais que la chaleur du soleil est
accueillante pour qui sort du froid glacial et paralysant. Je quittais les
banlieusards affairés et indifférents pour la vraie téranga : celle des
sourires faciles, celles des « comment ça va ? Ça va bien ? Tant mieux si ça va
! ». Je quittais les horaires serrés et les rendez-vous qui s'enchaînent les
uns aux autres pour la douceur du temps qui s'écoule sans précipitation,
tranquillement comme l'eau d'une douce rivière.
Le taximan était là, sourire aux
lèvres, et à peine les salutations faites, mes bagages étaient déjà dans le
coffre et la voiture filait sur Somone, où m'attendait un havre de paix, la
fraîcheur vivifiante d'une piscine ensoleillée, et la gentillesse d'un gardien
attentif et d'une « fatou » dévouée.
Dès le premier soir, le gardien me
proposa une « soirée sénégalaise ». J'étais fatigué par le voyage mais ma
curiosité fut plus forte. J'imaginais naïvement des danseuses en pagne les
cheveux enrubannés de fleurs exotiques, une musique rythmée aux accents sonores
des mains qui heurtent les tam-tams et autre djembés. J'imaginais la plage non
loin et peut-être le feu de camps. J'imaginais l’Afrique de mon enfance, celle
de mes rêves et sans doute celle de mes fantasmes exotiques nourris de clips
télévisés.
Quels ne furent mon étonnement et ma
déconvenue ! Pas de plage mais la terrasse un peu triste d'un café ! Pas de feu
de camps mais quelques lampes blafardes ! Pas de danseuses exotiques mais un
chanteur-danseur « désarticulé » qui s'agitait comme une araignée devenue
subitement hystérique aux rythmes d'une musique endiablée.
La terrasse était presque vide et je me
sentais subitement bien seul. Le matin je prenais le thé avec quelques amis
avant mon départ dans un estaminet parisien et le soir me voilà dans cette
atmosphère bruyante, cet air moite et empesé. Je m'efforçais de faire bonne
figure. Progressivement, les gens arrivèrent et je me sentis moins seul: On
entendait maintenant les rires, les chants, et ces curieuses intonations pour
qui méconnaît le wolof. L'angoisse qui m'avait initialement serré la gorge se
dissipait à mesure que l'ambiance devenait survoltée. Las corps ondulaient, on
se touchait, on se congratulait. La vie émergeait subitement comme d'une
fourmilière malencontreusement heurtée par le pied. J'observais tous ces gens
avec une infinie curiosité.
Passé le moment du charme de la
nouveauté, mon esprit redevint critique. L'œil du caméléon qui veille dans
l'entrelacement de mes neurones me fit voir une réalité moins exotique.
De nombreuses jeunes filles légèrement,
parfois trop légèrement vêtues, presque nues s'agitaient dans la musique et la
lumière blafarde. Mon regard se fixa sur l'une d'elle, grande, aux longs
cheveux tressés, aux rondeurs exquises, au visage angélique. Je ne me lassais
pas de la regarder. Un homme blanc, dont la ceinture maintenait à peine un
ventre bien trop lourd, s'approcha d'elle et lui parla à l'oreille, Elle lui
sourit et lui chuchota quelques mots. Je les vis non sans tristesse s'évanouir
dans un taxi.
Cette scène se répéta plusieurs fois !
Cette soirée n'était pas vraiment sénégalaise ! J'étais dans un endroit devenu,
peut-être malgré lui, un lieu d'« échanges », d'« échanges tarifés ».
Le charme était rompu, dommage! Je
venais de découvrir cet autre visage d'une partie l'Afrique, celui du monde de
la nuit et de la prostitution.
SOURCE : DIRECT INFO RÉALISE PAR
ABOUBAKRY KANE (Correspondant à Mbour)
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