
Contribution Depuis deux mois, l’opinion au Sénégal est alertée par des actes de procédure pénale, qui intéressent des figures marquantes du pouvoir déchu en mars dernier : ministres, conseillers, directeurs de sociétés. Toutes ces affaires, nous dit-on, font suite aux audits de 2008, dont les conclusions n’avaient pas reçu, à l’époque, la suite qui s’imposait. S’il est question de poursuivre et sanctionner des délits de détournements de deniers publics avérés, peu d’objections peuvent être faites à une telle démarche. Restant à espérer que les fonds récupérés seront utilisés avec le même souci de transparence.
Mais ce à quoi il faut aussi prendre garde, c’est que cette entreprise de réparation des préjudices causés à la collectivité, ne soit perçue, simplement, comme une justice des vainqueurs. Ce qu’il faut enfin éviter, c’est que les principes généraux du droit et la charte fondamentale, soient violés, sous le motif que l’opinion serait prête à avaliser tout ce qui est fait, contre les ténors de l’ancien régime. La question des audits. Nul ne peut contester la nécessité d’appliquer la loi pénale aux graves infractions, pour lesquelles des peines sont expressément prévues.
La question que l’on doit se poser, par contre, c’est pourquoi cela n’a pas été fait en son temps. On nous dit, que c’est le pouvoir de l’époque qui, à dessein, avait rangé ces audits dans les tiroirs, en refusant de faire poursuivre les délinquants. A notre sens, il faut en conséquence, pour qu’une telle pratique soit désormais bannie des comportements d’un Chef de l’Etat ou d’un gouvernement, que des dispositions légales spécifiques, soient édictées. En l’occurrence, il est urgent qu’une loi fasse obligation à l’organisme qui procède à l’audit, à l’inspection, au contrôle, de saisir le parquet des constatations faites et qui à ses yeux, constituent un délit, au sens du code pénal. Ainsi, il ne sera plus loisible, au pouvoir exécutif, de mettre sous le coude, certaines affaires qui mettent en cause ses proches, pour ensuite faire du zèle dans la poursuite de ceux qui sont ses adversaires politiques.
De même, pour éviter les classements sans suite, dits « de faveur », ainsi que les appelle la Commission de Discipline du Parquet en France (citée par le magistrat El Hadj Abdoul Aziz Seck, dans un article publié en 2009 dans le bulletin de l’UMS#), une autre loi doit intervenir, pour prévoir la transmission obligatoire à la Cour d’appel et à son parquet, chaque mois, pour vérification, de toutes les affaires classées sans suite. La même loi autorisera la Cour, à ordonner l’ouverture d’une instruction, si elle juge que le classement a été abusif.
Par ailleurs, la légitimité des actions entreprises, ne sera complète, que si la traque des irrégularités dans la gestion du bien public, ne s’arrête pas à la période la plus récente. Les audits doivent concerner toute la gestion passée. Il ne serait pas convenable, que ceux qui, actuellement, sont mis en cause, puissent dire qu’ils ne seraient pas les seuls à qui la justice devrait s’intéresser. Tout le monde souhaiterait, donc, pouvoir avoir la conviction, que c’est à partir de 2008, seulement, que la vertu a déserté les sphères où s’exerçait l’autorité, ce qui aurait occasionné l’apparition des dérives constatées par les audits.
Il urge, en conséquence, que les corps de contrôle, l’inspection Générale en tête, se remettent au travail, pour clarifier la gestion des années antérieures. Il est aussi impérieux, que les rapports de la Cour des Comptes intéressant ces exercices, soient publiés, exploités et ne continuent pas de rester dans les tiroirs. Il doit en être de même des conclusions de la Commission de Lutte contre la Non Transparence, la Corruption et la Concussion.
Le risque existe, en effet, que des lenteurs aboutissent à faire couvrir, par la prescription, des délits de détournements de deniers publics. La prescription n’est, ici, que de sept ans et, déjà, les auteurs d’irrégularités antérieures à 2005, ne peuvent plus être poursuivis. Celui dont la main tient le glaive de la justice, ne doit pas s’attarder sur les traits de visage des personnes, mais seulement sur les faits, qui, s’ils sont semblables, doivent subir la même règle. Notre voix ne devrait d’ailleurs pas être solitaire, car les partis qui constituaient l’opposition, avant le changement de régime de mars dernier, ainsi que la société civile, ne sont pas, que nous sachions, frappés d’amnésie. Ils se sont toujours présentés comme des défenseurs inflexibles de l’intérêt du pays.
Les alliances conjoncturelles ne doivent pas remettre en cause cet engagement. Sauf si, désormais nos hommes politiques, ont tous fait leur, la pensée de Machiavel, qui a écrit : « Le manquement à la parole donnée est le moyen de passer de l’état de simple particulier, à celui de prince. » Nous avons le sentiment, qu’il se développe une forte tendance vers un unanimisme ; or, celui-ci est à nos yeux,, le plus grand danger que l’on peut faire courir à une démocratie ; on a beau dire que c’est pour la bonne cause, celui à qui est donné un blanc seing, peut, naturellement, être porté à en abuser. Au demeurant, lorsqu’on se déclare l’ami ou l’allié de quelqu’un, l’on doit continuer d’être en mesure de dire le vrai, sinon, l’on devient un simple serviteur. Qu’en est-il des accusations d’enrichissement illicite ? L’on a pu constater qu’une partie des auditions était faite, par les enquêteurs, pour s’assurer qu’ils n’étaient pas en présence de cas d’enrichissement illicite.
Ces interrogatoires, ont donc consisté, comme l’a indiqué la presse, à demander aux personnes en cause, l’origine de tel bien ou de telle somme d’argent, voire de prouver que cette source était licite. Cela en vertu de la loi réprimant l’enrichissement illicite (81-53 du 10 juillet 1981), reprise dans le code pénal, à son article 163 bis. Comme chacun le sait, cette loi fut votée, pour, grâce à un raccourci juridique des plus contestables, mettre en prison des agents de l’Etat, trop riches et dont on ne pouvait pas prouver qu’ils étaient coupables de détournements de deniers publics.
A cet article, on peut lire : « Le délit d’enrichissement illicite est constitué lorsque, sur simple mise en demeure, une des personnes désignées ci-dessus, est dans l’impossibilité de justifier l’origine licite des ressources qui lui permettent d’être en possession d’un patrimoine ou de mener un train de vie sans rapport avec ses revenus légaux ». On le voit, dans ce système, la charge de la preuve de son innocence, incombe à l’accusé. Et c’est cette disposition qui est contraire au droit de la défense, garanti par la constitution et qui, pour l’essentiel, repose sur la présomption d’innocence et l’obligation, faite à l’accusation, de rapporter la preuve de la culpabilité du prévenu.
Nous soulignons, à cet égard, que l’article 7 de le Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, qui est reconnue par notre constitution, rend obligatoire, pour tous les Etats, parties à cette convention, le respect du droit de la défense. Du reste, l’adage latin que nous gardons en mémoire, tant parce qu’il nous renvoyait à nos humanités, que parce qu’il nous paraissait particulièrement expressif, et qui est connu de tous les procéduriers, dit bien : « Nemo auditur turpidinem propriam suam allegans », ce qui signifie que personne ne se prévaut de sa propre turpitude. Ce texte sur l’enrichissement illicite fait beaucoup de tort au Sénégal, tant il est perçu dans les milieux où est prise en charge la défense des droits de l’homme, comme un mécanisme de règlement de compte, utilisé lorsqu’on est incapable d’apporter les éléments de preuve, susceptibles d’étayer une accusation.
De toute manière, l’application de cette loi sur l’enrichissement illicite, va désormais rencontrer un obstacle majeur, à travers l’article 92 de la Constitution, alinéa premier. Cette disposition est ainsi libellée : « Le Conseil constitutionnel connaît de la constitutionnalité des règlements intérieurs des assemblées législatives, des lois et des engagements internationaux, ainsi que des exceptions d’inconstitutionnalité soulevées devant la Cour Suprême ». Ainsi, les personnes en cause seront autorisées, à opposer à ceux qui les accusent, la non-conformité à la constitution, du texte qu’ils invoquent, pour les attraire devant la justice.
D’ailleurs, en matière d’exception, si l’on se réfère aux articles 373 et 374, du code de procédure pénale- nous avançons cet avis sous le contrôle des praticiens du droit-, il n’y aura pas lieu pour d’attendre l’instance de cassation (Cour Suprême), pour les soulever, mais dès le début du procès, avant même que les affaires fassent l’objet d’un examen au fond. Ce qui veut dire que ces accusations peuvent tourner court, très vite. A cet égard, ce n’est pas à tort qu’une personnalité appartenant à la société civile, a préconisé la mise en place d’un jury d’honneur, pour tenter de faire restituer les fonds qui auraient disparu. Si l’Etat veut, réellement, poursuivre son combat contre la corruption, ce qui serait fort honorable, les moyens ne manquent pas. Comme nous l’avons dit, de nouvelles lois s’imposent, pour assurer une liaison directe entre les organes de contrôle et le parquet.
Mais également, on ne pourra pas s’abstenir de réformer l’état où se trouve la justice, pour la rendre indépendante et mieux apte à remplir sa mission, au sein de la nation. Notre institution judiciaire doit avoir la même dignité que celle des grandes démocraties. Le Sénégal le mérite, sous tous les rapports, tant il a su démontrer la maturité de ses populations, le caractère avisé de son opinion publique et l’efficacité de son système électoral, qui, ensemble, permettent désormais une alternance paisible, chaque fois que notre nation estime que ses choix ne sont suffisamment pris en compte, par ses dirigeants. Sidy DIOP «
« Convergence patriotique-le Sénégal d’abord » Tel 221 77 413 00 07
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