Lundi 10 Mars, 2025 á Dakar
Vendredi 01 Juin, 2018 +33

CARNET DE ROUTE : Casamance la verte, douce et hospitalière

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CARNET DE ROUTE : Casamance la verte, douce et hospitalière

La Casamance sonne comme une invitation au voyage. Naguère en proie à quelques tensions, elle est en train de renouer avec la paix et n’effraie plus, ni les dakarois ni les touristes qui viennent en masse profiter de son hospitalité et de sa beauté. 

Aller en Casamance de Dakar n’est pas chose aisée. Après plusieurs heures passées sur la route, il faut traverser la Gambie, étape presque obligée si l’on veut éviter un grand détour. Ce qui n’est pas une mince affaire du fait de ses douaniers qui font « payer cher » ce raccourci. Mauvaise humeur et bakchich de rigueur vous attendent. Impossible de traverser sans se coltiner ces garde-fous. Rien n’y fera : ni la patience, ni l’amabilité, ni la colère, il faut laisser une petite commission imaginaire. Ils s’assoient sur leurs sièges, cigarette à la bouche et sourire en coin. Imperturbables. Conscients aussi de tout le privilège de leur situation géographique si particulière, héritage de la colonisation, qui sépare le Sénégal en deux.

Après les quelques kilomètres de pistes en piteux état, les heures d’attente au bac (qui semblent prévues pour obliger les voyageurs à acheter les produits locaux largement moins chers qu’au Sénégal), puis les quelques kilomètres qui séparent l’autre rive de la frontière casamançaise, le tour est joué. Si on arrive par Banjul la piste est taillée en pleine forêt et quelques militaires et douaniers sénégalais vous attendent de l’autre coté de la frontière, plus attentistes qu’aux aguets. La zone est propice à tous les trafics. La nuit depuis Kafountine, des voitures clandestines traversent de part et d’autre la frontière Elles jouent au chat et à la souris avec les forces de l’ordre, si ce n’est pas avec leur complicité, m’apprend-on.

Ambiance jamaïcaine

Quelques kilomètres avant Kafoutine et à proximité de la mer, le village d’Abene semble un havre de paix. Sous le grand fromager du village, le marché au poisson s’intronise à des prix défiant toute concurrence. Les rues sont jonchées de boutiques, auberges, cafés, restaurants, et le pain fait office de fête après quelques mois au régime sec de la fade baguette dakaroise. Autre particularité : l’ambiance d’Abene comme celle de Kafountine est un peu jamaïcaine. Les îles emplies de chanvre indien ne sont pas loin. Et Bob Marley et la communauté Reggae ont ici des adeptes bien visibles, reconnaissables à leur attitude très posée, à la musique aux rythmes reggae ou aux coiffures rasta. Le calme n’est pourtant que d’apparence car la nuit venue, des Kankourans chassent les jeunes du village qui fuient la circoncision. Plus un « chat » dehors. Chacun court à grandes enjambées devant les créatures vêtues de rouge, qui font entendre leurs machettes dans la nuit silencieuse. L’électricité n’étant pas encore installée, les traditions font plus que résister dans ce village. Et autant à ma surprise qu’à mon détriment, ce scénario se répète en pleine journée, le lendemain, car les Kankourans, à l’inverse de ce qui était raconté dans le village, s’en sont pris à tous ceux qui s’aventuraient dehors, locaux et étrangers dans le même sac. Vexé d’avoir reçu deux coups de machettes sans pouvoir réagir, le charme était rompu. Direction Kafountine.

Kabrousse, « grenier du Sénégal »

Ce « faux village » qui ne compte pas loin de 10 000 habitants en saison, est alors en pleine ébullition. Car si les touristes qui squattent les campements des bords de mer ne viennent pas en cette saison, les pêcheurs, eux, accourent de tout le pays. Des centaines de bateaux rentrent tous les soirs les cales pleines de poissons en tout genre et un va et vient assez impressionnant de camions réfrigérés fait l’activité de la zone. Ce spectacle prend aussi un aspect plus tragique et moins avouable avec des plages envahies de poissons morts sur des kilomètres. Les pêcheurs ne gardent en effet que les prises les plus intéressantes. Un beau gâchis à l’heure où les ressources halieutiques et marines s’amenuisent à vue d’œil. Ce point noir s’estompe un peu devant l’hospitalité des habitants de Kafountine qui se désolent souvent des pratiques de quelques-uns. Dans le village où mangues et autres fruits se cueillent à profusion sur les arbres, la « Téranga » n’est pas un vain mot et les soirées sont longues et arrosées au vin de palme, le « carburant local ». Autour des repas, les discussions portent souvent sur l’indépendance éventuelle de la Casamance, si disparate du reste du Sénégal. Les modes de vie avec une grande part dédiée à l’agriculture et plus récemment au tourisme, les langues (à Kafountine le mandingue prédomine) et surtout la géographie avec une forêt touffue, sont totalement différentes du reste du pays. « C’est le grenier du Sénégal » affirme un instituteur local, fier d’appartenir à ce peuple et qui ne cesse de compter les différences avec la capitale Dakar, vue plus comme « prédatrice » que « protectrice ». « En matière d’infrastructures, nous sommes toujours les moins bien pourvus, pourtant, les gens du nord ne se gênent pas pour venir prélever les richesses par ici. Regardez les camions de bois qui ont été saisis », fait-il remarquer. Si le sujet est un peu tabou, les dizaines de barrages qui parsèment les routes prouvent que la tension est encore là, entretenue par quelques attaques plus attribuées à des bandits qu’aux rebelles.

Des années laborieuses…

Après une petite étape dans l’humide Ziguinchor, le contact est pris à Kabrousse, à quelques kilomètres de la frontière Guinéenne. Le village est alors rassemblé pour un enterrement. Des centaines de femmes sont rassemblées autour du défunt. Les petits-enfants de ce dernier chantent autour de lui, et déplient des tissus que l’on glissera dans sa tombe. Cet enterrement autant chrétien que Diola révèle la cohésion préservée du village. La part belle est faite aux femmes qui restent ensemble trois jours durant aux rythmes des chants, du tri de riz et des coups de feu qui accompagnent les festivités. Autour du village des hectares d’espaces vierges réservés aux rizières attendent la saison des pluies pour s’animer, et un peu plus loin ce sont les « mbolongs » puis la forêt « où se cache un camp rebelle » affirment les habitants. Dans ces terres Diolas, le conflit a marqué les esprits et beaucoup de jeunes semblent être partis un temps dans la rébellion. « Les années 90 ont été très dures et les excès des uns et des autres ont épuisé la population, principale victime » affirme ainsi un habitant qui préfère que son nom ne soit pas cité.

Cap Skirring, l’« anti-kabrousse »

A quelques kilomètres, Cap Skirring est un peu l’anti-kabrousse. Cette ville qui a littéralement émergée en quelques années avec ses nombreuses infrastructures (aéroport, route reliant Ziguinchor, restos, cafés, banques, discothèques…), est constituée par des habitants venant de tout le pays, voire de toute l’Afrique de l’Ouest en saison haute. Le potentiel touristique de la côte avec ses plages somptueuses est en effet un argument de poids. L’installation du Club Med à la fin des années 70 a aujourd’hui égrené de nombreux autres complexes hôteliers pour tous les budgets. Et beaucoup d’européens viennent jusqu’à acheter des terrains pour se faire bâtir des maisons particulières, phénomène qui traduit d’ailleurs un certain malaise à Kabrousse où les habitants ont vendu leurs terres pour une bouchée de pain il y a quelques années, et qui se retrouvent amputés de leur patrimoine aujourd’hui. Reste que le tourisme est l’une des activités les plus rentable de la zone et qu’il se développe de manière spectaculaire. « Il n’y a déjà plus un seul espace disponible jusqu’à la frontière voisine » affirme un restaurateur local. Reste à espérer que toutes ces infrastructures puissent réellement profiter aux locaux. Et certains comme Jean-Bernard, un habitant de Kabrousse, retroussent déjà leurs manches pour profiter de cette manne en construisant des campements de « tourisme vert », « un moyen pour continuer à vivre dans (son) village tout en s’ouvrant vers les autres » aime-t-il ajouter. Le retour vers Dakar, capitale très cosmopolite et individualiste est d’autant plus difficile. La réputation d’hospitalité et de douceur casamançaise n’est pas un vain mot.



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