
« Ce n’est point une pénétration supérieure
qui fait les hommes d’Etat, c’est leur caractère »
VOLTAIRE
Il y a un spectacle auquel nous voudrions bien ne pas assister. C’est cette cascade de candidatures, ce réveil de mégalomanes narcissiques, chacun d’eux se voulant un esprit prodigieux, chacun d’eux se croyant investi de la même mission divine. Il ne se passe plus une semaine sans que se révèle au peuple une nouvelle stature, un nouvel être providentiel qui rêve de taquiner la postérité, prêt à tout pour s’offrir un voisinage flatteur avec Senghor, Diouf et Wade. L’esprit héroïque ne s’est jamais mieux porté dans ce pays. Fort bien. Mais trop de candidatures finissent par nuire à la candidature. C’est une loi aussi vieille que l’économie : quelle que soit sa valeur initiale, un produit est déprécié quand se présente sur le marché une offre trop importante. C’est en cela que les nombreux candidats déclarés contribuent au mal qu’ils sont sensés combattre.
J’ai déjà souligné le travestissement auquel a mené cette idée selon laquelle la classe politique s’est discréditée. Elle relève d’un fantasme nourri par une réalité avec laquelle elle n’a pourtant aucun rapport. L’échec du projet libéral a donné l’impression que l’alternative que nous avons choisie en 2000 n’ayant pas été concluante, ceux qui ont gouverné jusqu’en 2000 et ceux qui sont actuellement au pouvoir son comptables du même échec. C’est une vérité absolue. Mais en pensant confier notre sort à un homme « neuf », nous ne faisons que reproduire nos erreurs passées. Nous oublions que c’est ce que nous avons fait pendant 50 ans, en nous laissant mener par des hommes providentiels arrivés à la politique par des chemins détournés. Quand Senghor s’est engagé à la veille de notre indépendance, il s’est présenté en homme neuf éloigné des intrigues politiciennes, déterminé à sauver son pays. Vingt ans plus tard, le successeur qu’il nous a présenté avait le profil d’un technocrate qui promettait une rupture avec les vieilles pratiques politiques. Quand Abdoulaye Wade s’est engagé en politique en 1974, il s’est présenté aux paysans comme le brillant économiste qui pouvait réussir là où les hommes politiques ont échoué. Etre un homme politique était déjà mal vu. La politique a toujours été chez les populations, synonyme d’espièglerie et de mensonge.
Il y a enfoui dans notre conscience collective, le souvenir d’une époque vertueuse pendant laquelle la politique était conduite par des hommes de grande noblesse. Cela n’a malheureusement jamais existé. Aussi loin que l’on remonte dans le temps, le mensonge et la manipulation ont toujours été au cœur de notre vie politique. Les transferts d’électeurs et la fraude électorale avaient déjà cours dans le petit microcosme du début du siècle dernier.
La pratique politique n’a jamais fait bon ménage avec la vertu chez les Julofa. Mais paradoxalement, les populations n’ont jamais fait foi aux vertueux qui se présentent avec des habits de moine pour les courtiser. En 1993, Iba Der Thiam se présentait comme l’antithèse d’Abdoulaye Wade, qu’il peignait sous les traits d’un Tartuffe. Il a obtenu 1.61%. Le professeur Madior Diouf, qui venait donner un coup de balai dans l’espace politique avec son « Set-Setal, a obtenu 0.97%. En 2000, le même Iba Der Thiam est revenu, fort de son mandat de « député du peuple » avec ses 1500 questions orales. Son échec n’en a été que plus cinglant, avec 1.21%. Je le vois encore s’arracher les poils du thorax, s’emportant contre Djibo Kâ et son « château », blâmant les électeurs « ingrats ». Il n’a rien pu faire contre cette classe politique qu’il vilipendait dans ses discours. Cheikh Abdoulaye Dièye, le « lanscape architect », lui aussi entré en campagne avec son Dieu unique, s’est fait punir avec 0.97%. Mademba Sock, au sommet de sa popularité, sur la base de son engagement syndical, a lui aussi rêvé de gloire en se présentant avec un certain « maître » El Hadj Diouf comme directeur de campagne. Il a été bon dernier avec 0.56%. En 2007, Mame Adama Guèye, vedette des médias, a été le premier à s’engouffrer dans le créneau de la société civile, avec sa campagne sur le renouveau politique. Il a obtenu 0.40%. Que dire de Modou Dia, qui vociférait tous les jours sur la bande FM au nom du monde rural ? Ses amis paysans lui ont collé un bon 0.13%. Il y eut d’autres expériences tout aussi chaotiques, comme la candidature d’Ousseynou Fall en 2000. Depuis l’ouverture démocratique en 1978, aucun candidat qui s’est présenté en dehors du cadre politique traditionnel n’a obtenu plus de 2% des suffrages exprimés. Les Sénégalais n’ont jamais apprécié le mélange de genre. Quand ils ont été appelés à choisir entre le vrai politicien et le faux, ils ont préféré l’original à la copie.
Ce que je viens de dire n’est dirigé contre aucun des candidats. C’est plutôt pour leur bien qu’ils doivent se prémunir de leur prochain échec. Ils ne suscitent de l’enthousiasme que chez quelques intellectuels nostalgiques. Mais l’ambition rend aveugle. Chacun croit le régime de Wade si affaibli que tout le monde se croit en mesure de le battre. Erreur que tout cela ! J’ajoute que ces hommes que nous présentons comme providentiels sont aussi comptables que les autres des 60 ans de gestion de ce pays. J’ai encore en mémoire cette image de Mamadou Lamine Loum descendant une à une les marches de l’escalier circulaire qui mène au bureau du président de la République, retranché dans ses grosses lunettes avec sa monture de vinyle. Il venait d’être nommé Premier ministre et tout le monde s’étonnait qu’à deux ans de la présidentielle, Abdou Diouf nommât une personnalité neutre à un poste aussi stratégique. La surprise a été de courte durée. Au premier journaliste qui l’interroge après sa nomination, il répond sur un ton martial qu’il travaille « pour faire réélire le candidat Abdou Diouf ». Il est sans doute un économiste de talent, mais il n’a pas la virginité qu’on lui prête. Je peux dire la même chose de tous ceux qui suivent, puisqu’ils ont occupé des postes stratégiques dans l’ancien régime socialiste. Ibrahima Fall et Jacques Diouf ont tous les deux occupé deux ministères stratégiques, l’Enseignement et l’Agriculture. En quoi seraient-ils plus méritants que ceux qui affrontent le régime de Wade depuis dix ans, se battent pour les droits des citoyens et soumettent leurs suffrages aux populations ?
Il nous faut rompre avec le culte des héros savants. Ils n’existent pas. C’est pour avoir pensé pendant longtemps que notre réussite collective était celle de quelques illustres particuliers que nous avons échoué. Nous nous sommes retrouvés orphelins à chaque fois qu’ils se sont mis à faire le contraire de ce pour quoi ils ont été élus. Les hommes passent. Les institutions demeurent. C’est à elles que nous devons consacrer l’essentiel de nos efforts. J’en reviens à ce qu’avait dit Barack Obama dans son discours d’Accra. Ce n’est pas d’hommes forts que nous avons besoin, mais d’institutions fortes.
SJD
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