Crazy cool acteur Y’en a marre : ‘’ Macky Sall, nous l’avons à l’œil’’

Youssoupha Diallo, alias Crazy cool, est un des principaux acteurs du mouvement Y’en a marre. Il a été emprisonné en même temps que Kilifeu, Thiate, Fou Malade et autres. Crazy cool se confie Pour la première fois de sa sortie de prison, Crazy Cool se confie au Pays. De son entrée au Mouvement ‘’Y’en a marre’’, en passant par  son arrestation, sa vision du rap, les tentatives de corruption… Bref, Cool Crazy est certes cool, mais aussi Crazy que ça.

Présentez-vous…

Kanareuw (bonjour en langage de rue), à tous les Sénégalais et aux lecteurs du journal LE PAYS. Je m’appelle Youssoupha Diallo et je suis natif du village Lébou de Yoff. C’est à l’âge de sept ans que mes parents ont déménagé pour s’installer ici à Dalifort. Comme beaucoup d’enfants de l’époque, j’ai été scolarisé et je suivais normalement mon cursus. A un moment donné, j’ai commencé à prêter oreille à cette belle musique qui est le Rap. Retenez que depuis 1995, je suis dans le mouvement hip-hop. A présent, c’est ma vie.

Que veut dire « Crazy cool » ?

Au début je me surnommé ‘’Big U’’. J’aime le rap. Je suis spontané et je déborde d’énergie. On me dit toujours que je suis un des rares artistes qui arrivent à faire perdre à la foule son contrôle avec une de mes belles chansons intitulée « Rapakkagraaw»  (NDLR : Le Rap, c’est grave). Je crois que tout bon artiste, doit être en mesure de faire vibrer son public. Depuis, partout où je passe, les fans scandent « Crazy cool » et c’est ainsi que j’ai adopté ce nouveau surnom.

«Le rap n’est pas un domaine très lucratif au Sénégal et rares sont ceux qui achètent les albums. Pour les rappeurs qui veulent gagner des sous dans cette musique, mieux vaut aller vendre du Kétiakh (Poisson séché). Le rap doit être avant tout une passion, une vocation… » 

Depuis  que vous avez débuté en 1995, combien d’album  avez -vous sorti ?

Non, je n’ai pas encore sorti d’album.Mais, j’ai beaucoup contribué à des compilations. La première, c’était l’idée de « Maestro Séga », un méga producteur résidant alors à Grand-Yoff. Il y’ avait 120 nominés et je faisais partie des 12 retenus pour cet album commun. Je lui ai proposé une belle chanson. Mais, il avait déjà porté son choix sur  «Rap akka graaw », à cause de la puissance du message qu'il contient et de l’énergie folle que je dégage quand je la chante.Après la réussite de cette collaboration, j’ai participé à une autre compilation et cette fois, c’est le Forum Civil qui a été le bailleur et l’album à été produit par le studio d’enregistrement « Bois Sacré » du groupe « Daara-j ». Pendant l’enregistrement dans le studio, Fada Freddya été impressionné par notre façon de faire et tout juste après, il nous (ndlr : Fook And Kook Et Crazy Cool) a proposé de faire un projet d’album qui devait s’intituler ‘’Yenne Bou Diss’’.Après avoir constaté le succès de ce tube, le Forum Civil n’a pas hésité à nous proposer un deuxième duo.Il s’agit de ‘’Corruption’’ qui a encore fait plus tabac que le premier. La réussite de cet album nous a permis de nouer plusieurs contacts mais aussi de voyager dans les régions de Matam, Casamance, Saint- Louis et même en Mauritanie. Enfin, il y’a eu un troisième album collectif  «Prise de conscience collective» co-produit par Fou Malade et un groupe de musiciens français connu sous le sigle de CADTM. Malal en personne m’a appelé pour me proposer de participer à cet album et après en avoir parlé avec mon manager et mon staff,  j’ai alors accepté. Pour l’occasion j’ai composé une chanson que j’ai puisée au fond de mon cœur que j’ai baptisé « Life dou lou yoomb », pour dire que rien n’est facile dans cette vie. Pour preuve la premier action que l’Homme fait en venant dans ce monde c’est de pleurer…          

Alors que certains rappeurs s'habillent en costume et cravate, vous avez choisi de rester fidèle au XXL, enplus du chapeau style ‘’Y'en a marre’’.Pourquoi ?

D'abord le chapeau "Yen a marre", je le porte  depuis les années 1990, alors que ‘’Y'en a Marre’’ n'existait pas encore.Ce chapeau a quelque chose de spécial, si vous remarquez bien, vous verrez qu'il n'ya que les grands hommes qui le portent.Quand je dis grands hommes, je fais allusion à ceux qui se sacrifient pour que tu aies un quotidien meilleur. Je pense à Amicar Cabral par exemple, ou même n'importe quel vieux marchand ambulant que tu croises souvent  dans la rue, ou encore au brave cultivateur qui passe ses journéessous le chaud soleil pour que tu puisses manger du riz à midi, ou au pêcheur qui navigue dans les eaux troubles pendant des mois dans une simple pirogue pour que tu aies le plaisir de déguster du poisson des grands fonds. Si ‘’Y'en a marre’’ porte le chapeau Amilcar Cabral, c'est grâce à moi. Revenons sur le style vestimentaire, c'est simple, le fonctionnaire s'habille en costume et cravate, le militaire porte toujours son uniforme et nous rappeurs, on n'a que nos ‘’jinggles’’ (pantalon bouffant).

Est-ce qu'un rappeur doit impérativement s'habiller enXXL?

Non, cela va de soi.Mais moi, j'ai choisi de m'habiller comme les pionniers du mouvement. Puisque je ne suis pas un Américain, je fais la différence en créant mon propre style.J’allie le style occidental et celui africain. C'est pour cela, que je porte cet ensemble kaki avec des motifs chapeau Amilcar Cabral.

Qu’est-ce que vous déplorez dans le Rap d’aujourd’hui ?

Certains rappeurs travestissent le hip-hop.C’est surtout ceux qui rappent pour de l’argent, la musique rap est d’abord une musique derevendication, ensuite une musique de fête. Je vais vous dire pourquoi.Le Rap trouve son origine dans les ghettos de New York dès les années 1970, moment où le DJ Kool Herc organisait des ‘’blocks parties’’, héritage de son pays natal dont il vient juste de débarquer : La Jamaïque. A ce moment-là, Kool Herc devient le précurseur du ‘’Deejing’’, et sera suivi par Grand master Flash ainsi qu'Afrika Bambaataa. Les disques qu'ils passent sont des breaks souls, funk, rock, jazz, blues... D'où le fait que beaucoup commence à s'intéresser aux vieux disques de leurs parents. Le Rap est donc né par un certain mélange de culture et de musique. Les premiers Mc's (Master of Ceremony) apparaissent alors. Ils ont comme fonction de motiver les gens à danser sur les breaks que les Dj's proposent. Mais face à un contexte politique critique (assassinat de Malcolm X, discrimination et racisme), certains Mc's commencent à se démarquer de par leur message conscients qu'ils font ressentir à travers leurs textes. 

«Quand Macky Sall a été fraichement élu président, avant même de s’installer à la présidence de la République, il est venu nous rendre visite à notre quartier général. On lui a clairement dit «que la guerre est loin de se terminer. C’est juste une bataille qu’on a gagnée ». En clair, on lui a dit qu’on a un œil sur lui. Par la suite Macky en personne nous avait proposé des postes stratégiques dans le gouvernement, au moment où il nous parlait, tout était déjà réglé chacun d’entre nous avait même droit à une secrétaire».

Comment avez-vous intégré le mouvement  ‘’Y’en a marre’’ ?

C’est lors de la conférence de presse que l’on a donné à propos de mon sound track ‘’Life dou lou yoomb’’ que j’ai rencontré pour la première fois, les membres du mouvement ‘’Y’en amarre’’. Ils étaient parmi ceux qui sont venus m’écouter. Probablement impressionnés par ma philosophie, ils m’ont proposé d’intégrer le mouvement ‘’Y’en a marre’’.Pour l’amour de mon peuple et éternel disciple du mouvement hip-hop, j’ai tout de suite accepté.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué lors des manifestations et des sit-in du 23 juin 2011?

C’est la première fois que je le dis en public.Voilà les trois choses qui m’ont marqué lors de ces évènements. Alors qu’on était aux alentours de Daniel Brottier pour empêcher l’application du ticket présidentiel et son quart bloquant, un journaliste posa à Thiate la question suivante : «Qu’avez- vous à dire au peuple sénégalais ?» Thiate rétorqua : «L’heure est grave et il est temps d’agir». C’est cette phrase qui a dopé la société civile, les mouvements citoyens et la classe politique réfractaire à la réforme de la Constitution, pour déclencher la révolution.

Malgré que les forces de l’ordresoient omniprésentes et malgré les menaces et quelques coup de matraque, on est parvenu à la place Soweto.Quelques minutes après, les flics viennent nous (NDLR : Thiate, Fou Malade, Karim Kroukhak, Cap2 Zeus et lui) chercher. Ils nous ont d’abord maltraités en nous infligeant des coups de poings et des coups de pieds. Ensuite ils nous ont jetés dans leur camionnette. Mais tout s’est passé à l’insu de leurs supérieurs. Car une fois au commissariat central, on a été bien traités. Après on a été en gardés- à-vue.

Ensuite il y’a le jour où, nous avons recouvré la liberté, juste devant la porte de sortie du commissariat, je me suis arrêté un moment j’ai regardé le ciel, je me souviens de la lueur du soleil, j’ai respiré grandement comme si c’était ma dernière inspiration et quand j’ai ouvert les yeux, je vois devant moi une foule énorme scandant ‘’Y’en amarre’’. Certains dans la foule criaient mon nom « Crazy cool ! Crazy cool ! ».J’avais du mal à croire que tout ce public était là pour moi. Je respirais mal. Je ne ressentais plus mon corps, de grosses larmes glissaient le long de mon visage. C’était l’extase. C’était une victoire et cette victoire, c’était celle du peuple sénégalais. Ce jour, c’était un des jours les plus heureux de ma vie. Car, j’avais accompli ma mission en tant que citoyen mais aussi en tant que rappeur.

C’est une énorme fierté pour moi.Malgré les tentatives de corruption, j’ai toujours gardé la tête entre les épaules.Ne me demandez  pas de citer des noms, par loyauté  je ne le ferai pas. Pourtant, je ne suis pas riche.Regardezoù je vis, on est à Dalifort, c’est la banlieue. On l’a surnommé « Daf Ghetto ».Comme je l’ai dit tantôt, si tu ‘’rappes’’ pour de l’argent, «c’est mort». Mieux vaut aller vendre du poisson séché à moins que tu acceptes les pots-de -vin des politiciens.Dans ce cas, tu deviens un « Koruptible ».Tu ne représentes plus les valeurs du Hip-Hop.

Y’ a-t-il eu un arrangement entre ‘’Y’en a marre’’ et le Président Macky Sall ?

Quand Macky Sall a été fraichement élu président, avant même de s’installer à la présidence de la République, il est venu nous rendre visite à notre quartier général. On lui a clairement dit «que la guerre est loin de se terminer.C’est juste une bataille qu’on a gagnée ». En clair, on lui a dit qu’on a un œil sur lui. Par la suite Macky en personne nous avait proposé des postes stratégiques dans le gouvernement, au moment où il nous parlait, tout était déjà réglé chacun d’entre nous avait même droit à une secrétaire. Mais par principe et par loyauté envers le peuple sénégalais, on a décliné l’offre du président Macky Sall.

Avez-vous un message que vous voulez graver dans l’esprit des Sénégalais?

Oui, je dirais aux Sénégalais de rester humbles et véridiques et d’être prêt à mourir pour une bonne cause.