
Ansoumana Badji, ex-secrétaire général du Mfdc sort de son mutisme et livre une feuille de route pour une paix durable. Celle-ci devra forcément, à son avis, passer par une prise en charge économique de la région. Dans l’entretien qui suit, le rebelle révèle que feu Abbé Augustin Diamacoune Senghor voulait, avant sa mort, le retour de la paix ; mais une paix retrouvée avec tous les fils de la Casamance.
Wal Fadjri : Les négociations pour la paix en Casamance semblent bloquées depuis Foundiougne 1… Que faudrait-il faire pour relancer le processus ?
Ansoumana BADJI : La Casamance apparaît aujourd’hui sous un certain rapport comme un serpent hideux qui termine sa mue dans une époque d’hyper incertitude. Nous pensons donc qu’il faut du courage, de la lucidité, de la clairvoyance et surtout de l’honnêteté intellectuelle et beaucoup d’humilité dans nos analyses et prises de position pour espérer parvenir à un règlement juste et définitif du conflit en Casamance. A y regarder de près, certaines de ces qualités manquent cruellement à ce jour, il faut bien l’avouer, pour mener à bien des négociations sur la paix en Casamance. Il y a dans les manières de faire, de penser et d’agir un nationalisme de pyromanes, de catastrophisme et d’attentisme. Et il urge d’accepter de faire face à la vérité dans un monde qui, chaque jour, nous donne des leçons de nous surpasser. Or, s’agissant de la Casamance, il ne saurait exister une ambition pour celle-ci au sens le plus positif du terme qui ne soit sous-tendue par une vision du développement claire acceptée et maîtrisée par les populations locales. Sinon, nous nous exposons tous à une situation stagnante, synonyme d’impuissance et lourde de conséquence.
Nous avons comme l’impression que ce sont les Casamançais mêmes qui ne veulent pas de cette paix ?
L’urgence est là : la Casamance depuis plus de vingt-cinq ans vit dans la catastrophe, avec un horizon obstrué. Il nous incombe alors, si nous voulons un futur radieux fait de paix, de compréhension mutuelle et de pardon, tirer et positiver les leçons du passé. L’humanité casamançaise ne sera sur les rails du vrai développement que le jour où elle acceptera de se faire violence en essayant de faire une lecture dynamique et positive de l’histoire de l’humanité qui est faite de grands bonds et de reculs. Cette «casamancité», comme dirait Senghor, qui est synonyme d’humanisme, doit être réhabilitée en s’affirmant sans fausse honte dans tous les cénacles ou son destin majeur se joue. Il s’agit aujourd’hui plus qu’hier, alors que les démons de la désunion et de la violence tonnent et veulent renvoyer aux calendes grecques la dynamique de paix, de relancer la politique de dialogue bien enclenchée depuis l’alternance. Il s’agit donc d’oser se regarder en face, sans faux-fuyant et accepter de faire une introspection.
La Casamance a souffert et trop souffert. Et à ce jour encore, elle continue de souffrir. Ses fissures devenues béantes interpellent tout honnête citoyen imbu de valeurs d’ouverture, de pardon et de paix. La logique d’un jeu de cache-cache, de pourrissement d’une situation absurde à la limite où l’on essaie de dévaloriser la partie adverse jugée faible par la médisance, par un silence complice, doit être bannie. Tout comme doit être rangée aux vestiaires la logique de la puissance, de la force brutale et pire la délation. Ces logiques ouvrent la porte à toutes les aventures, à tous les aventuriers et criminels des temps modernes. Implacables et sans finalités porteuses d’espoirs pour la Casamance comme pour le Sénégal, ces logiques n’ont qu’un objectif : il faut vaincre, dominer, écraser, humilier l’autre. Il s’agit donc de respecter la partie adverse - que par la diffamation, on essaie d’affaiblir - dans un contexte de négociation sans chercher à lui porter l’estocade finale. Il ne s’agit pas d’avoir raison en tuant la raison c'est-à-dire en niant l’autre. Non, on ne tue pas le poisson en le noyant. Cette fausse impression de victoire, de stabilité n’augure rien de bon et de vrai dans le processus de négociation pour une Casamance vraiment pacifiée.
«L’expérience montre que si, bien évidemment, toute négociation qui voudrait faire l’impasse sur l’aile militaire est vouée à l’échec, il est tout aussi évident que l’exclusion de l’aile politique conduit aussi à l’échec. C’est elle, en effet, qui théorise et oriente la lutte autour d’une certaine vision de la Casamance.»
A votre avis, quelles sont les véritables solutions pour une paix définitive ?
La résolution correcte de la crise casamançaise exige la participation de tous les acteurs directs qui sont au cœur du conflit mais aussi de toutes les bonnes volontés et surtout de l’aile politique qui est la partie théorisant de la guerre. L’expérience montre que si, bien évidemment, toute négociation qui voudrait faire l’impasse sur l’aile militaire est vouée à l’échec, il est tout aussi évident que l’exclusion de l’aile politique conduit aussi à l’échec. C’est elle, en effet, qui théorise et oriente la lutte autour d’une certaine vision de la Casamance. Elle requiert amour et connaissance de cette belle Casamance, abnégation, désintéressement, persévérance, patience, culte de la vérité et de la persuasion. A ce propos, il faudrait savoir que sans effort de persuasion les populations ne sont pas acquises à la cause de la paix et si elles ne le sont pas, celle-ci devient impossible. La pédagogie de la persuasion devient donc ainsi un impératif pour arriver à une paix fondée sur la «Justice et la Vérité» avec le moins de souffrance possible pour soi et même pour les autres.
Il faut donc replacer les négociations dans cette perspective d’une paix juste et durable comme condition sine qua non du développement de la Casamance. Sans faux-fuyant. Sans chercher à jouer à cache-cache, ni jouer aux victimes. Et dans le cadre des négociations librement consenties qui sont la démarche des dirigeants responsables, et portés vers le futur, il faut avoir à l’esprit les intérêts majeurs des populations, qui n’oublient jamais ce qui a été arrêté et fait en leur nom. Il faut replacer la Casamance sur son orbite, au cœur des lumières sociologiques qui ont irradié dans le temps le Sénégal. Car, faut-il le répéter, la Casamance fut un terroir magique à la limite du surréel avec une magnifique culture d’hospitalité et d’acceptation de l’autre. Or, celle-ci, nous en sommes convaincus, reste une des valeurs sûres des civilisations profondément humanistes et la pierre angulaire de la consolidation d’une nation sénégalaise plurielle.
En suivant votre raisonnement, c’est à l’Etat de renouer le dialogue…
En acceptant de relancer le processus de négociations entre le Mfdc et l’Etat sans chercher à diviser et à affaiblir le Mouvement, l’Etat du Sénégal ira vers la solution la meilleure pour la résolution correcte du conflit. On irait à terme vers la réconciliation entre toutes les parties en conflit. Les populations aspirent à la paix. Elles aspirent à une paix que rien ne viendrait troubler parce qu’étant le produit d’actions concertées, dûment réfléchies. Ces mêmes populations savent que la paix est un immense trésor et qu’il nous faut tous aller à sa conquête et le protéger en le partageant. Tel doit être, entre autres, un des objectifs majeurs de tout Casamançais. Tel était aussi le testament de feu Abbé Augustin Diamacoune Senghor. La Casamance aujourd’hui dans un Sénégal en perpétuelle redéfinition et dans un monde où les limites de la connaissance sont poussées à l’infini, ne doit jamais accepter d’être dans la banlieue du développement. L’unité, telle doit être la devise forte de toutes les parties : unité du Mfdc, unité de la Casamance, unité dans la vision du développement, unité des cœurs.
Ne faut-il pas lier cette paix au développement économique de la Casamance ?
Dans la situation de ni paix, ni guerre dramatiquement vécue par les populations, où l’économie s’est effondrée, il s’agit par une politique culturelle appropriée de montrer à travers des exemples pertinents que le nivellement par le haut, par des responsables vertueux et déterminés est plus approprié en ce monde mondialisé, que le nivellement par le bas. Dans la pensée populaire, il semble que la culture casamançaise soit contre l’enrichissement de certaines personnes. Cette mauvaise lecture des faits sociologiques a été pendant très longtemps un frein au développement économique de la Casamance. Cette conception fort vécue dans les consciences a fait que le Casamançais a toujours eu peur de s’enrichir comme les autres, d’être des hommes d’affaire avisés. C’est ainsi que l’espace économique fut délaissé au profit d’activités rurales (travaux champêtres, cueillettes, etc,.), qui, aujourd’hui, battent de l’aile. C’est ainsi qu’il s’est retrouvé dans la rupture d’un citoyen bloqué et même en fossile sans perspective économique digne de ce nom. Son devoir d’agressivité économique positive s’est mué en devoir de silence au moment où sa communauté, faute d’espérance, se fossilise dangereusement. Aussi, le Casamançais a-t-il regardé pendant trop longtemps, mis à part quelques exceptions, les autres réussir dans les affaires au moment où lui rongeait les os, fermant les rangs. Jusqu'à quand ? Il est donc temps de sortir de cette situation d’un citoyen qui semble refuser le développement, incapable de s’adapter aux mutations économiques, scientifiques et techniques des temps modernes.
Mais on a comme impression que le développement de cette région stagne. On ne sent pas les Casamançais dans ce projet de développement. Les cadres se sont tous terrés à Dakar, s’ils n’ont pas simplement abandonné leur région ?
Il est temps pour les Casamançais de se montrer entreprenants, de mettre en bandoulière les principes d’agressivité économique positive et d’espérance. C’est aussi la raison pour laquelle dans les programmes de construction et de développement de la Casamance, dans les négociations pour l’instauration d’une paix juste et définitive, il importe de donner un coup de pouce à de jeunes cadres casamançais bien formés aux techniques économiques. Il y a lieu de penser à un compte C2E à l’instar du compte K2 qui a permis naguère aux Kaolackois de décoller. C2E signifierait Casamance le C du début et le C avant E. Le compte C2E permettrait une discrimination positive dans l’octroi de crédits de jeunes Casamançais sans garantie. Pour ce faire, il y a lieu d’instaurer à leur intention, un Fonds spécial de promotion et d’impulsion de l’entreprenariat et dans l’esprit de ce qu’était le compte K2 du temps de Senghor (mais bien évidemment géré selon les principes les plus éprouvés de la bonne gouvernance). On pourrait alors l’appeler le compte C2. Ce compte pourrait servir à la création de petites, de moyennes voire de grandes unités industrielles et commerciales. L’objectif serait, entre autres, la formation d’une classe locale d’entrepreneurs objectivement intéressés à la paix et à la cohésion nationale.
Dans le même esprit, les organisations patronales (Cnp, Cnes, Mdes, etc.), doivent s’impliquer davantage dans la création d’unités industrielles et commerciales qui répondent aux besoins économiques fondamentaux des populations. L’inexistence de centres commerciaux dans les grands quartiers populaires est aussi un frein à une bonne culture économique des populations car, voir des produits de très grandes qualités importés ou produits sur place est un réel motif de créativité économique. Ceci galvaniserait les populations et leur insufflerait le culte de la perfection. Ces centres commerciaux constitueraient à n’en point douter des espaces d’échanges et de compréhension mutuelle.Toutes ces propositions procèdent de ma profonde conviction qu’il ne saurait y avoir de paix et de développement en Casamance sans la naissance et la promotion d’entrepreneurs et d’acteurs locaux de développement.
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