
Forêts et rivières, sable fin et cocotiers. Poisson, riz, mangue, marijuana et noix de cajou à foison. Au sud-ouest du Sénégal, la Casamance a tout pour faire rêver les touristes et faire prospérer les populations locales. Derrière la carte postale, c'est là que Stéphanie Mallak, une Casamançaise née en 1970, a perdu sa jambe droite en marchant sur une mine antipersonnel. Depuis trente ans, la Casamance est le théâtre d'un conflit de basse intensité qui oppose l'Etat central à quelques centaines de combattants indépendantistes du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC). Du coup, la région végète, loin de Dakar. Et les habitants, assis sur un trésor qu'ils ne peuvent exploiter et las des promesses non tenues, n'attendent plus grand-chose du scrutin présidentiel du 25 mars.
En 2000, Abdoulaye Wade, le président sortant, candidat, dimanche, à un troisième mandat, s'était engagé à régler le conflit "en cent jours". Douze ans plus tard, MmeMallak ne compte plus sur grand monde et survit tant bien que mal en faisant de la couture. Sa vie a basculé un jour de 1998 sur une piste de son village situé près du bourg de Boutout, à une encablure de la frontière du Sénégal avec la Guinée-Bissau, alors qu'elle allait cueillir des citrons.
"Nous avions quitté nos maisons quelques semaines avant et nous étions réfugiés à Boutout à cause des rebelles qui venaient au village nous demander de les nourrir, se rappelle-t-elle. Mais nous retournions aux vergers de temps en temps, seule façon pour nous, agriculteurs, de survivre. Aujourd'hui encore, ceux qui reviennent dans le village pour la cueillette croisent des rebelles. L'armée ne vient pas, la sécurité n'est pas là. On ne rentrera pas chez nous", confie cette mère d'une fille de 20 ans.
90 000 VICTIMES
Bacary Diédhiou, le président de l'Association sénégalaise des victimes de mines (ASVM), a connu le même drame dans le nord de la Casamance proche de la Gambie. "Les personnes déplacées par les combats se réfugient dans les villes et n'ont pas d'autres moyens de subsistance que de retourner faire la cueillette de mangues ou de noix de cajou dans leur verger. Elles sont les principales victimes des mines", dit-il en s'appuyant sur des béquilles.
Souleymane Diallo, lui, fuyait son village à la veille d'une attaque rebelle. En bordure d'une rizière, alors âgé de 11 ans, il a marché sur un engin explosif posé avant l'offensive et perdu la jambe droite. Soigné et sommairement appareillé, il a repris à Ziguinchor, la capitale régionale, les chemins de l'école, jusqu'à obtenir un diplôme d'informatique et de gestion alors qu'avant son accident, il avait dû déserter les bancs de l'école primaire pour aider sa famille dans les champs. "Mais maintenant, je ne trouve pas de travail."
La fin des années 1990 fut particulièrement sanglante : plusieurs centaines de personnes mutilées, fauchées par les engins posés par la rébellion ou l'armée. "Le Sénégal a signé le traité contre l'utilisation des mines, mais ne l'a pas réellement appliqué, notamment le volet d'aide aux victimes", regrette Bacary Diédhiou, 57 ans, deux femmes et douze enfants à nourrir.
Selon une enquête réalisée en 2006 par l'organisation non gouvernementale française Handicap International, quelque 90 000 personnes, déplacées, blessées ou tuées, ont été victimes de ce conflit rythmé par des accords de cessez-le-feu violés par leurs signataires avant même que l'encre ne sèche.
"Ces dernières années, le régime d'Abdoulaye Wade a surtout cherché à semer la zizanie au sein du MFDC à coups de valises d'argent, provoquant la division et la suspicion entre les différents commandants de zone, sans gagner la bataille de la paix", constate Nouah Cissé, historien casamançais. "Depuis le début de l'année, trois militaires ont été tués par les mines", comptabilise Sény Diop, du Centre national antimines du Sénégal (Cnams).
"LA CASAMANCE, C'EST UNE SOUPE KANDJA"
Dans ce pays où la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, les handicapés ne sont pas la priorité. Surtout pour les victimes d'une guerre dont Dakar répugne à reconnaître l'existence. "Pourtant, la présence des mines est un frein à l'activité économique de ce qui fut le grenier du Sénégal", déplore M.Diop. "C'est une psychose permanente pour les gens de la campagne", ajoute-t-il.
"Cette guerre a détruit le tissu économique et social. Le tourisme, les activités de pêche, l'agriculture, tous les secteurs sont touchés, et cela se traduit par une augmentation du chômage et de la pauvreté", remarque Jean-Pascal Ehemba, le président de la chambre de commerce de la région de Ziguinchor et le patron d'un hôtel situé sur les rives du fleuve Casamance. Au loin, on devine l'activité de l'usine de collecte des arachides, seul employeur privé de poids dans la région.
En cette période électorale, la plupart des candidats ont fait le déplacement en Casamance, un bassin de 1,5 million d'habitants dans un pays qui en compte 12,8 millions, une région intimement mélangée sur le plan ethnique et religieux. "La Casamance, c'est une soupe kandja, comme dans une macédoine, on mélange tout un tas d'ingrédients et c'est bon", rigole Gustave Sambou, professeur de français dans un lycée de Ziguinchor. Tous les candidats ont donc promis la paix et de mettre fin au conflit, que ce soit par la force, en distribuant des sacs de riz aux chefs de quartier ou en promettant le développement d'une région qui se sent oubliée par Dakar, la capitale sénégalaise, distante de 400km par une route traversant la Gambie, pays qui coupe pratiquement le Sénégal en deux.
A la frontière, les chauffeurs routiers sénégalais attendent pendant des jours une place sur le bac traversant le fleuve Gambie afin de poursuivre leur route vers le sud de leur pays. "La guerre et le manque d'infrastructures nous pénalisent", déplore Jean-Pascal Ehemba. "Mais c'est aussi à nous, habitants de la Casamance, de lutter pacifiquement pour nous en sortir sans attendre que cela vienne de Dakar. Dieu nous aidera", conclut-il.
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