
Extrait du livre "Les dérives du Sopi" de Momar Mbaye sur l'agression le 5 octobre 2003 de l'opposant Talla Sylla, leader de l'Alliance Jëf Jël. Plusieurs personnes qui ont assisté à l'agression témoignent dans cet ouvrage consacré aux dérives du régime de l'alternance au Sénégal.
Le jeune opposant et leader de l’Alliance Jëf-Jël, Talla Sylla, a failli confirmer un rendez-vous avec la mort le 5 octobre 2003, à quelques encablures du restaurant « Le Régal », vers l?avenue Cheikh Anta Diop de Dakar, à hauteur du Western Union.
On ignore s’il s’est bien régalé ce soir là, mais ce qui est sûr, c?est qu?il a eu droit à un séjour gratuit à l?hôpital pour bien « digérer » son dîner. Alors qu?il sortait du restaurant, deux personnes se jetèrent sur lui à coups de marteau, et faillirent l?envoyer séjourner au pays du grand repos.
Des témoignages recueillis à chaud par Pape Abdoulaye Der, correspondant de la RFM sur place nous ont permis d?en savoir un peu plus sur les temps forts de cette agression : « Je suis arrivé au moment où les brancardiers de Suma Assistance refermaient la porte de l’ambulance pour évacuer le jeune leader politique. J’étais confronté à un choix : suivre l’ambulance ou recueillir des témoignages. Je me suis dis que je pourrais toujours rappliquer à Suma mais avant tout il fallait trouver des gens qui avaient assisté à la scène. »
Ce soir-là, Khalifa Diakhaté était à l?antenne et avait donné l?information aux alentours de 23 heures. Le correspondant de la RFM poursuit : « C’était le début d’un “live” qui allait durer jusqu’au petit matin… et devant la gravité des faits, rediffusé entre 9h et midi le lendemain. On ne le savait pas encore, mais c’était le début d’une histoire qui allait tenir en haleine les Sénégalais pendant des années mais aussi le début d’un long feuilleton politico-judiciaire avec l’affaire communément appelé « l’affaire Talla Sylla ». Le correspondant de la RFM nous confie que ces évènements se sont déroulés sous les yeux d?une dame de moins de trente ans et d?un vigile qui prenaient le thé à une terrasse juste au bord de la route. Ces derniers étaient dans l?impossibilité d?intervenir, vu que les agresseurs avaient tiré des coups de feu pour tenir en respect tous ceux qui étaient tentés de porter secours à Talla Sylla. « Ils ont parfaitement décrits les agresseurs dans les détails. La dame était claire dans ses déclarations. Le monsieur a été moins loquace. Je l’ai senti réticent à se confier. »
Abdoulaye Der ajoute que les deux témoins sont allés plus loin et insistent même sur des détails : « Ils ont bien décrit à mon micro les agresseurs… leurs ports vestimentaires, leurs visages, les deux voitures : une Mercédès et une Peugeot 405 d’après leurs dires et bien d’autres détails. La dame aurait même averti Talla Sylla en lui demandant de courir pour se sauver parce que les deux voitures rodaient depuis son entrée dans le restaurant et s’étaient mises en planque. Donc elle dit qu’elle a flairé très tôt le mauvais coup, c’est pourquoi aucun détail de la scène ne lui a échappé. »
D?autres personnes présentes sur les lieux ont aussi corroboré leur témoignage et affirment que Talla Sylla a été salement amoché : « Les traces de sang étaient encore visibles sur le sol. Talla Sylla tenait dans ses mains un marteau. La dame qui a suivi la scène de loin affirme qu’il s’est battu avec les agresseurs et c’est comme ça qu’il a arraché le marteau des mains de l’un d’eux. » Pape Abdoulaye Der qui par la suite s?est rendu à Suma a été surpris de constater que Talla Sylla n?était pas sur les lieux. Il apprend par le biais d?un ami du couple Sylla que Talla a été évacué à l?hôpital principal où se rendit illico presto le correspondant de la RFM pour reprendre son « live » : « une fois là bas, je me suis glissé à l’intérieur mais très vite la sécurité a remarqué que j’étais journaliste, que j’étais en train de faire du direct… les choses se sont gâtées pour moi. J’ai été repéré et sommé de la fermer et de vider les lieux. Je me suis retrouvé dehors à la porte principale. Je pouvais seulement apercevoir les urgences (déplacées depuis l’intérieur) qui se trouvaient juste en face de la porte d’entrée principale… et là le défilé de personnalités politique a commencé… Moustapha Niass le 1er ministre qui venait de quitter le gouvernement… le député Moussa Tine et bien d’autres. »
Voilà, prince Karim, ceci ne relève pas d?un film d?horreur. Ces événements se sont bien passés au Sénégal, la République que dirige votre père, et qui a signé et ratifié les Conventions Internationales Relatives aux droits de l?Homme en 1968 et 1972 respectivement, de même que la Convention contre la torture (4) et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
A vrai dire, les droits de l?Homme, on a parfois l?impression qu'ils sont le cadet des soucis de votre père. Autrement comment pouvons-nous interpréter son mutisme devant l?impunité ? À ce jour, Talla Sylla souffre encore dans sa chair. Il suffit de lui parler au téléphone pour s?en rendre compte. J?ai maintes fois essayé de le faire revenir sur le calvaire qu?il a vécu, mais j?avais l?impression de remuer le couteau dans la plaie qui, à mon avis, ne cicatrisera jamais. Karim, pour une personne qui a soutenu la candidature de votre père en 2000, pour un ancien Vice-président de l?Assemblée Nationale sous l?alternance, et avec tous les services qu?il a rendus à la République, un minimum de reconnaissance s?impose, un semblant de justice pour punir ces voyous du Sopi qui voulaient en finir avec lui. Talla Sylla n?est pas une personne à s?apitoyer sur son sort, malgré le calvaire qu?il vit au quotidien. Ce livre est un témoignage à l?humanité, une illustration de l?injustice et de l?impunité que votre père vient d?ériger en règle générale au Sénégal. Au cas où vous ne seriez pas au courant, les jours de Talla Sylla sont en danger. Karim, votre père est responsable de tout ce qui pourrait lui arriver. Sous l?alternance, les citoyens se retrouvent presque tous en sursis, à l?image de la presse. N?importe quel Sénégalais peut finir comme Talla Sylla, victime d?agression du jour au lendemain.
(...)
NB: A ce jour, les agresseurs de Talla Sylla et leurs commanditaires, courent toujours.
(4) Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclue à New York le 10 décembre 1984. Le Sénégal adhéré et ratifié la Convention le 21 aout 1986 et 26 juin 1987 respectivement. (Site Internet des Nations Unies)
Extrait de "Les dérives du Sopi", Edition Edilivre, janvier 2010
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