
Premier ambassadeur du Sénégal à Londres sous le régime de l’alternance, El
Hadji Amadou Niang s’est prononcé sur la situation politique du pays dans un
entretien qu’il a accordé à Seneweb. Le diplomate est d’avis qu’Abdoulaye Wade
doit quitter le pouvoir pour ne pas installer le chaos. Son Excellence, M Niang
compare le président de la République à Bokassa. Entretien !
Seneweb : M El Hadji Amadou Niang vous étiez
ancien ambassadeur du Sénégal au début de l'alternance.
Comment analysez-vous la situation politique du pays aujourd'hui?
M. A Niang : Le Sénégal sous la
direction d'Abdoulaye Wade est une véritable honte. Néron a connu une fin tragique
: le Sénat le démit et les sénateurs allaient lui imposer le supplice des
parricides. Abandonné de tous, il se réfugia dans la maison de campagne de
Phaon avec son fidèle affranchi, il se poignarda à la gorge le 9 juin 68, aidé
d'Epaphrodite. Ce décor est celui d’Abdoulaye. Le règne d'Abdoulaye Wade est
ponctué par une course effrénée pour les décorations et les médailles, à coups
de milliards de nos francs avec le secret espoir de laisser à la postérité une
image non conforme à la réalité. Abdoulaye Wade est devenu l'Abasileus « roi »
de la Grèce Antique qui estimait qu'il tire son autorité de Dieu. Abdoulaye
Wade me rappelle étrangement Néron avec ses séries de scandales. Cet
étrange personnage laissait ses conseillers s'occuper des affaires de l'État et
il s'entourait d'un cercle de proches pour consacrer son temps à des nuits de
débauche et de violence, alors que les affaires les plus banales de la
politique étaient négligées. Malgré ses tentatives de tromper l’opinion
publique nationale et internationale, le bilan de Abdoulaye Wade est plus que
catastrophique. Abdoulaye Wade a trahi son serment du 1er avril 2000, proclamé
devant le peuple tout entier, en présence de plusieurs Chefs d’État et de
Gouvernement du continent africain. Je me rappelle encore du long voyage
aller-retour de Pretoria où je résidais pour assister à la prestation de serment
du troisième Président de la République du Sénégal. Ce jour là, Abdoulaye Wade,
à la grande satisfaction et fierté de toute une Nation, la main droite levée
devant des milliers de citoyens, en majorité de jeunes, qui voyaient alors un
grand rêve sur le point de devenir réalité, avec l’avènement d’une alternance
d’espoir et de changements. Abdoulaye Wade avait juré de se mettre au service
exclusif des intérêts du Sénégal, de protéger les droits et les libertés des
citoyens et, par-dessus tout, de respecter la Constitution.
Hélas ! En 12 années pour reprendre les propos du philosophe français Alain,
son « pouvoir sans contrôle » l'a rendu fou. Abdoulaye Wade a été tellement
aveuglé par le pouvoir qu’il n’a jamais su ce qu’il devait en faire. Sa seule
et unique préoccupation est de garder farouchement son fauteuil. Tout au long
de son règne, « Ne touche pas à mon beefsteak » a toujours été son leitmotiv,
ce qui a justifié les dérives les plus grotesques qui ont fini par entraîner
une personnalisation révoltante du mode d’exercice du pouvoir dans notre Pays.
Au plan de la gouvernance politique, le Sénégal, longtemps présenté comme la
vitrine démocratique de l’Afrique, est maintenant tombé de son piédestal tant
envié, et se retrouve presque dans le peloton de queue des États les plus en
retard en matière de gouvernance politique.
Notre système démocratique marche à reculons par la volonté toujours d’un
homme, qui est
simplement obnubilé par "son fauteuil".
Sa tentation de dévotion monarchique du pouvoir, qui était secrète au début en
(Août 2003), devient manifeste maintenant. Et pour se maintenir lui-même, et
désigner son successeur en la personne de son propre fils, qui serait
disqualifié tant par la compétence que par sa probité. Dans tous les domaines,
l'échec n'est plus à démontrer. Cet homme qui incarnait l'alternance
démocratique est devenu un autre avec des divagations interminables :
Par exemple, comment peut-il parler d'énergie nucléaire alors que la population
s'éclaire à la bougie ?
Wade, c’est le règne des scandales financiers: Jamais de mémoires de Sénégalais,
l’on aura découvert autant de scandales politico financiers, engageant des
centaines de milliards de détournements et de gabegies financières impliquant
les plus hautes autorités de l’État. Le cas de son fils Karim, un garçon sans
formation, sans expérience professionnelle ni charisme, est allé si loin, qu’il
a réussi à nous faire avaler 1 km de goudron à 6 milliards de FCA. C'est du
jamais vu !
Wade et sa famille si encombrante ont détruit notre Pays et les valeurs
impérissables qui nous ont été léguées depuis la nuit des temps, elles sont
constamment bafouées.
Abdoulaye Wade, c’est le règne de l’arbitraire, des menaces et des atteintes
aux personnes et aux biens : Combien de journalistes ou d'autres patriotes
sénégalais ont été humiliés, menacés de mort et harcelés, violentés gravement à
coups de marteaux et laissés pour mort ?
Moi-même, j'ai péniblement vécu, après qu’il m'ait démis de mes fonctions
d'Ambassadeur à Londres, avec toutes les formes d'humiliations, de harcèlements
des policiers, de sa DIC et de trois tentatives d'attentat dont la dernière est
survenue dans la nuit du Jeudi 24 Novembre 2005. Cet attentat avait été
largement commenté par la presse nationale comme internationale. Sous le règne
de Wade des organes de presse ont été fermés et des journalistes brillants ont
été emprisonnés. Wade est un bandit. Il n'a
aucun respect pour le droit. Notre Bokassa national est
le seul à avoir raison. Sur des millions de sénégalais, Karim Wade est loin «
le meilleur des sénégalais » ! Le comble, est qu’il ait eu recours au mensonge
pour présenter son fils, faisant croire qu’il aurait été le meilleur Directeur
de banque à USB Warburg. Je vous révèle que c'est un mensonge et USB pourrait
le confirmer à la presse. Ce garçon qui parle de bonus n'a jamais été un cadre
dans aucune Institution financière à Londres. Ce garçon est un médiocre, qui a
trop beaucoup de peine à décrocher un diplôme universitaire. Il a même des
difficultés pour s'exprimer tant en français qu'en Anglais. Il sillonne la
planète avec des jets privés. Si son père n'avait été élu Président du Sénégal,
jamais l'on aurait entendu parler de lui. Abdoulaye Wade c’est la
déstructuration et la mort des fleurons de l’économie sénégalaise. Le cas des ICS
premier employeur du pays, la Sonacos, la filière des arachides, le tourisme,
la pêche, la SENELEC etc... Bref, plus rien ne fonctionne dans notre Pays.
Abdoulaye Wade me rappelle étrangement le personnage que décrivait avec talent
le romancier camerounais Ferdinand Oyono « le vieux nègre et la médaille ».
Quelles sont vos
impressions, de la décision du Conseil
Constitutionnel de valider la
candidature de Wade, malgré les lois sur la constitution ?
Comme j’ai eu à le dire, lors d'un entretien avec BBC Afrique focus du 28
Janvier 2012 (en français et en anglais), la décision rendue par le Conseil
Constitutionnel est tellement
décousue qu'elle n'a même pas su exposer les motifs qui justifient sa décision.
Cette décision est lamentable et représente une insulte faite au bon sens et au
droit. Bref, l'histoire retiendra
que nos « cinq sages » ont souillé l'honneur et la dignité de notre grande
Nation. Je crois que notre Peuple a bien compris ce message puisque désormais
aucun Sénégalais n'accorde
la moindre crédibilité à cette décision infondée.
D’après vous, la stratégie du M23, les
séries de manifestations ayant occasionné
des morts d’hommes est-elle pertinente ?
Comme l'indiquait avec éloquence Robespierre dans son discours à la convention
nationale :" Quand le gouvernement viole les droits du peuple,
l'insurrection est pour le peuple le plus sacré et le plus indispensable des
devoirs". Étant loin du Sénégal, depuis la publication de la décision insensée
et inacceptable de ce "Conseil Constitutionnel”, je sillonne les capitales
européennes pour expliquer dans les medias Européens, et de façon objective les
causes de cette violence. Comme d'habitude, la violence a toujours été la
méthode d'Abdoulaye Wade et de ses courtisans. Nos morts sont des martyrs et
demain lorsqu’Abdoulaye Wade sera chassé du pouvoir, la Nation leur exprimera
sa reconnaissance.
Espérez-vous que Wade quitte le pouvoir
vu l’ampleur de la violence liée à la validité
de sa candidature?
Son départ est imminent. Wade peut faire appels à ses magiciens indiens, des
mercenaires, porter la bague de démons. Mais je vous jure que le peuple
sénégalais ne se laissera pas faire. Ma préoccupation n'est plus son départ.
J'estime que le moment est venu de réfléchir sur le Sénégal après Abdoulaye
Wade. En raison de l'ampleur des injustices qu'il a délibérément causées à tant
de Sénégalais, il est devenu impératif de prévoir comment mettre en place un
cadre, une institution de la République pour que le Président qui sera élu
démocratiquement, puisse au moins procéder aux indemnisations, urgence
incontournable pour toutes les personnes qui ont été lésées dans leurs droits
et libertés par ce Néron.
Quelles sont ou
quelles étaient vos relations avec le
chef de l’État, Me Abdoulaye
Wade ?
Vous savez, depuis la fin de mes études universitaires, j'ai fait une longue
carrière dans les
Institutions internationales, notamment à l'Organisation des Nations Unies, en
consacrant mes
efforts, notamment à la prévention, à la gestion et au règlement des conflits,
à la consolidation de la paix, y compris le respect et la promotion des droits
de l'homme, l'élaboration de programmes de développement.
Toutes les personnes qui m'ont connu apprécient mon professionnalisme et ma
générosité.
Fortement marqué par la disparition tragique de mon mentor Feu Maitre Alioune
Blondin Beye et de quatre autres de mes meilleurs amis dans l'accident d'avion
auquel j'ai miraculeusement échappé, il m'a fallu prendre du recul. En raison
des relations d'affection que j'ai toujours entretenu avec les dirigeants de
l'Afrique post apartheid, notamment mon ami l'ancien Président Tabo MBeki et Nelson
Mandela, le Mandiba que j'ai toujours pris comme un Père dont le seul nom
restera gravé dans la mémoire de l'humanité, j'avais pris avec les miens la
décision de m'installer à Pretoria. J'étais certainement le seul noir africain
à être PDG de l'un des plus influents cabinets de consultation internationale.
Pour répondre directement à votre question, j'ai connu Abdoulaye Wade lorsque j'étais
Directeur à la Mission de l'ONU en Angola. Il était en mission officielle pour
une mission qui ne devait pas dépasser un séjour d'une semaine à Luanda, pour s'enquérir de la
situation des ressortissants Ouest africains, qui avaient été victimes d'une
mesure d'expulsion massive.
Abdoulaye Wade était accompagné par Papa Samba MBoup, un homme que j'ai
toujours apprécié et d'un jeune garçon très timide qui était en l'occurrence
son fils Karim. A l'époque, étant l’un des Sénégalais les plus gradés, dans la
Mission de l'ONU en Angola, j'avais mis
à sa disposition mon véhicule de fonction de l'ONU (une grosse Volvo blanche)
et quotidiennement nous étions ensemble soit à ma résidence ou celle de mon ami
Feu Alioune Blondin Beye. Il resta 40 jours en Angola et à cette époque j'avais
déployé tant d'efforts pour l'assister, l’aidant à rencontrer les Personnalités
angolaises, non seulement pour expliquer les raisons de sa visite à Luanda et
également comme il me l'avait demandé, pour obtenir des rendez vous avec des personnalités
de l'État angolais chargées de l'exploitation pétrolière. Hélas, malgré tous
mes efforts, mes amis angolais n'ont jamais voulu le recevoir. Car, ils
savaient que le Ministre d'État était un homme dont les convictions politiques
étaient confuses et qu’il était de surcroît quelqu'un qui avait des liens avec
l’ancien Président de l'UNITA, Dr. Jonas Savimbi.
En quittant l'hôtel Méridien Président de Luanda, l'homme que je considérais
comme un ami a rencontré des difficultés épouvantables, puisque cet hôtel refusait tout
paiement par carte de crédit. Il a fallu mobiliser donc plus de 13.000 dollars
pour payer ses frais d’hôtel en cash. Finalement, avec l'appui de notre ami
commun feu Paolo Georges, ancien Ministre angolais des Affaires étrangères, la facture
fut réglée pour lui permettre de ne pas être l’otage du Méridien Président de
Luanda.
Depuis, nous avions toujours eu des relations fraternelles ponctuées dés fois
par des discussions où je lui portais souvent la contradiction. Nos relations
se sont consolidées et j'éprouvais toujours du plaisir à le rencontrer avec son
épouse Viviane à Dakar, où je prenais souvent soin de les convier au restaurant
de la Pointe des Almadies.
Lors des élections de 2000, à partir de Pretoria, je lui ai apporté de la façon
la plus désintéressée mon soutien financier et politique, allant jusqu’à
utiliser mes relations pour mieux le faire connaître. Abdoulaye WADE vous
confirmera qu'il m'appréciait à tel point, qu'il a fini par me convaincre à m'impliquer
dans la gestion des affaires de l'État du Sénégal. Je peux vous dire qu’il m’a
fait de multiples propositions et de façon fréquentes et régulières. Lors de
son premier séjour à Pretoria, les membres de sa délégation, notamment le frère
Cherif Seye qui fut son porte parole et mon frère et grand Ami Amadou Diop
ancien Conseiller diplomatique peuvent témoigner qu’il s’enfermait toujours avec
moi.
C'est dans ce contexte que j'ai finalement accepté d'être son Ambassadeur à
Londres. En 6 mois à Londres où nous disposions d'une résidence personnelle,
malgré les efforts déployés, j'étais confronté quotidiennement à tant de
contraintes, notamment celle de l'état des propriétés du Sénégal (Chancellerie,
résidence, véhicule). J'étais contraint de vivre dans ma propre résidence
située dans le nord Est de Londres, et mon véhicule personnel ainsi que mes
meubles avaient été transfères à la résidence et à la Chancellerie du Sénégal.
Après de multiples requêtes, le Président lui-même a été impressionné lors de
sa visite officielle à Londres, par la réalisation de travaux dans nos
propriétés ( Chancellerie et résidence)
pour accepter de me rembourser plus de 70.000 livres sterling, que j'avais pris
sur mes fonds propres pour redonner une meilleure image de notre Pays à
Londres.
La véritable raison de mon limogeage est bien connue. Pendant toute la période
où je fus
Ambassadeur à Londres, j'ai toujours refusé d'être impliqué de près ou de loin
dans des affaires douteuses. Par ailleurs, jamais je n'ai accepté de répondre
aux instructions qui me paraissaient irrégulières. Avec le temps, l'on devait
utiliser tous les moyens pour m'abattre. Cet acharnement est allé si loin qu'à
ce jour l'on a systématiquement refusé de me payer mes émoluments d'Ambassadeur
itinérant, décret pourtant signé par le Chef de l'État, contresigné par
le Premier ministre et publié au Journal officiel. Par la suite, j'ai subi toutes
sortes d'humiliations caractérisées par des convocations à la DIC, des
perquisitions policières nocturnes où j'étais souvent brutalisé, mon
déferrement sans motif au Parquet, trois tentatives d'attentat dont la dernière
a été caractérisée par l'explosion d'une bombe de forte puissance dans ma
propre chambre à coucher.
Le comble, c'est que même la plainte qui avait été déposée n'a jamais reçu de suite. C'est dans ce contexte que j'ai quitté le Sénégal pour la France où j'ai introduit volontairement une demande d'asile politique. Certes, l'Ambassadeur du Sénégal à Londres que je fus qui était présenté " comme le modèle de la diplomatie de l'alternance " a beaucoup souffert avec toute sa famille à cause d’un homme comme Abdoulaye Wade qui n’a été intéressé que par le pouvoir. Mais, je sais également que ce que l’on m’a fait subir est incomparable à la souffrance d’autres Sénégalais.
C'est
la raison pour laquelle, tout sénégalais doit toujours avoir à l'esprit les
paroles de Thomas Jefferson qui disait: "Chaque citoyen doit être soldat.
Ce fut le cas avec les Grecs et les Romains, et doit être celle de chaque Etat
libre". Avec le temps, je dois confesser que l’erreur fatale
de ma vie, comme pour tant d’autres
hauts cadres sénégalais, est d’avoir accepté de servir un homme,
qui ne dispose d’aucune éthique, un opportuniste qui n’est intéressé que par
ses intérêts personnels, et ceux de sa famille, au détriment des intérêts de
notre pays qui auraient dû être sa priorité.
0 Commentaires
Participer à la Discussion