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Retard dans la délivrance des jugements, engorgement des rôles… : Ce que les vacances judiciaires coûtent aux usagers

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Retard dans la délivrance des jugements, engorgement des rôles… : Ce que les vacances judiciaires coûtent aux usagers

Perçues comme une paralysie à l’institution judiciaire, les vacances dans le secteur de la justice ne sont pas sans dommages collatéraux. Les vacances judiciaires, c’est trois mois durant lesquels la justice s’administre au ralenti. Au palais de justice de Dakar, avocats et usagers approuvent la décision du ministre de tutelle de ramener les congés annuels des magistrats de 45 à 30 jours. Chez les justiciables, les désagréments qui influent de fort belle manière sur la bonne marche du secteur en question sont innombrables. Ils vont du retard dans la délivrance des jugements au prolongement des détentions, en passant par le préjudice financier subi par les avocats, les lenteurs judiciaires consécutives à l’engorgement des rôles ainsi que l’encombrement des dossiers dans les cabinets d’instruction. 

 

ENQUETE - RETARD DE DELIVRANCE DES JUGEMENTS, PROLOGEMENT DES DETENTIONS… : Le casse-tête des usagers

Les usagers de la justice sont en phase avec le ministre de la Justice, Aminata Touré, qui préconise la suppression des vacances judiciaires en ramenant les congés annuels des magistrats de 45 à 30 jours. Les préjudices, subis durant cette période, en sont la cause. Avec notamment les lenteurs judiciaires ainsi que l’encombrement des dossiers dans les cabinets d’instruction. «Les vacances judiciaires constituent une entrave au bon fonctionnement du secteur de la justice. Ce service allégé du fonctionnement de la justice dont les modalités sont fixées au niveau de chaque juridiction favorise les lenteurs judiciaires déjà chroniques dans ce pays et l'encombrement des dossiers dans les cabinets d'instruction», dénonce un avocat basé au palais de justice de Dakar. «Les désagréments causés aux justiciables ne sont pas à minimiser. Ces perturbations traduisent le casse-tête des usagers des services publics de la justice», ajoute une autre robe noire rencontrée au siège des juridictions de la capitale sénégalaise.

Renvois lointains de certaines affaires

L’un des désagréments causés par les 45 jours de repos des acteurs du temple de Thémis est lié au retard dans la délivrance des actes judiciaires. «Les jugements, ordonnances et papiers administratifs connaissent une lenteur durant cette période. Il est difficile de récupérer son acte pendant la période des vacances. Si une chambre part en congés, tous ses dossiers seront suspendus jusqu’à ce que les magistrats reviennent», confie un greffier en service dans un cabinet d’instruction.

Prolongement du séjour carcéral des détenus

La liberté des individus en pâtit avec le «prolongement du séjour carcéral des détenus». Cela s’explique par le fait que «d’abord les audiences de flagrants délits ne se tiennent plus tous les jours. Elles ont lieu trois fois dans la semaine. Ensuite, les détenus, qui doivent être entendus, sont obligés d’attendre le retour des magistrats en charge de leurs affaires», explique un agent préposé au service des greffes. Plusieurs justiciables rencontrés dans les salles d’audience au palais de justice de Dakar confirment que leurs parents devant être jugés sont obligés de repasser pour connaître leur sort.

Calvaire des huissiers

Au bureau des Ordonnances d'injonction de payer (Oip), l'on note un «retard et une diminution dans le traitement de recours» à créance à cause de la période de trêve. «Les requêtes déposées sont en souffrance. Les huissiers parviennent difficilement à récupérer leurs documents», confie le chargé de réception.

Encombrement des dossiers dans les cabinets d’instruction

Dans les cabinets d'instruction, l’encombrement des dossiers est la première conséquence désastreuse des vacances judiciaires, selon les acteurs. Il s’y ajoute l'absence d'auditions des détenus et le report des interrogatoires des inculpés jusqu’à la fin des vacances. «Il y a à ce niveau une paralysie des cabinets d'instruction. Le motif n'est rien d'autre que les longues vacances judiciaires. Les conséquences sont regrettables. Des individus en détention préventive sont libérés d'office parce qu’ayant atteint la durée maximale de détention préventive en matière de délit qui est de six mois», fait savoir une source judiciaire.

Chambre d’accusation

Au niveau de la Chambre d’accusation, «des dossiers tombent de date avec aussi des mises en liberté d'office. Les registres où sont mentionnés tous les actes ne sont pas tenus à jour. La notice trimestrielle, qui est le bulletin par lequel le greffier renseigne le parquet général sur l'évolution des dossiers, connaît également des perturbations», fait-on remarquer.

Juridictions civiles et commerciales

Au tribunal du travail, «la juridiction est obligée de vider ses délibérés avant les vacances judiciaires. A défaut, les justiciables sont obligés d’attendre la fin des vacances pour mettre la main sur leur jugement. Le retard dans la délivrance des jugements est le désagrément noté au niveau du tribunal du travail». Il en est de même pour la matière sociale avec les cas de licenciement et autres. Par ailleurs, «une certaine désorganisation est notée avec ces audiences de vacation qui retardent les affaires extrêmement urgentes qui tiennent des délais». En matière commerciale, financière et économique, souligne-t-on, «les audiences souffrent de la même situation, car il n’y aura pas d'audience pour les affaires en état, ordonnance de clôture et délibérés. Le traitement et le suivi des dossiers viennent se greffer à ces désagréments déjà causés par les vacances judiciaires alors que le délai est de six jours seulement. Rien ne marche à 100 % dans les autres services similaires». Les audiences des criées (vente d'immeubles) et les audiences civiles, de famille (divorce, héritage, nationalité, certificat d'hérédité, succession) sont aussi concernées par les perturbations. Au tribunal régional, tous les dossiers liés à des affaires de contentieux, paiement, duplicata de titre foncier, sont renvoyés jusqu’à la fin des vacances.

Bureau de l'enrôlement

Au bureau de l'enrôlement, même si les activités ne sont pas suspendues et que celui-ci continue de s’ouvrir comme en temps normal, il n’en demeure pas moins que les services fonctionnent à moitié. Dans plusieurs autres juridictions civiles et commerciales visitées, «tous les délibérés sont maintenus jusqu’au retour du juge en charge du dossier, comme il ressort des plumitifs déposés au service de l'enrôlement du tribunal régional».

Casiers judiciaires et certificats de nationalité

Dans les services où l’on délivre les papiers administratifs comme le certificat de nationalité, le casier judiciaire, les usagers envahissent les couloirs. Le tout couronné par une foule nombreuse et un rang à perte de vue. Certains d’entre eux interrogés parlent de «va-et-vient incessants». C'est le cas de la dame Ramata Wade qui court depuis 20 jours pour l'obtention d'un certificat de nationalité. Alors que la durée légale est d'une semaine. Cette dame qui habite Pikine déplore la corruption entretenue autour de certaines affaires où des personnes perçoivent leurs documents, alors qu'elles ont été les dernières à déposer. Au service des casiers judiciaires, c’est la ruée des usagers. Le responsable du service, Assane Guèye, est contraint de devoir supporter les «paroles blessantes» et autres «propos agressifs» des justiciables.

REACTIONS… REACTIONS… REACTIONS…

ME BABA DIOP : «On subit la pression des familles qui ne comprennent pas la lenteur»

«Bien naturellement, il est évident que les vacances judiciaires vont entraîner des désagréments puisque les séances des mardis et jeudis des audiences de flagrants délits sont supprimées. Déjà en temps normal, on subit la lenteur et à plus forte raison pendant ces vacances. De fait, les affaires sont ralenties. On subit quand même la pression des familles qui ne parviennent pas à comprendre la lenteur».

ME PAPE LAITY NDIAYE : «On gagne moins d’argent pendant cette période»

«La justice est aussi une activité humaine. Elle a besoin de vacances. Je ne me plains absolument pas des vacances, parce que les personnes doivent se reposer. Aucune activité rémunérée ne peut justifier un travail de tous les jours. Cependant, il faut reconnaître que l’on gagne moins d’argent quand même pendant cette période, parce que l’activité se ralentit».

ME MICHEL NDONG : «L’intérêt du justiciable est lésé»

«C’est au cours de ces vacances que se pose alors le problème du prolongement du séjour carcéral qui est préjudiciable au détenu. L’intérêt du justiciable est alors lésé. Mais il faut aussi considérer que les gens ont le droit de se reposer».

ME MOUHAMEDOU MALAL BARRY : «La situation est pire dans les régions»

«C’est normal qu’il y ait des effets collatéraux parce que l’institution judiciaire est au ralenti. C’est évident qu’il va y avoir des dommages pour les justiciables. En matière pénale, le prévenu du flagrant délit doit tout de suite comparaître à la plus prochaine audience. Or, il n’y aura des séances pendant les trois prochains mois que les lundis, mercredis et vendredis. Mais ces vacances sont une opportunité pour la justice de souffler un peu. C’est le public qui devrait plutôt être sensibilisé, parce qu’il pense qu’on ferme le palais à clé alors qu’il y a un service minimum. De plus, cela se ressent à peine à Dakar. La situation est pire dans les régions intérieures».

ME MAKHFOUZ THIOYE : «Deux jours sans jugement entraînent des problèmes»

«Il y a des désagréments parce que d’habitude, les flagrants délits se tenaient du lundi au vendredi. Alors que là, il y a une innovation de taille. Bien qu’il y ait deux compositions, cela ne règle pas ce problème. Deux jours sans jugement entraînent des problèmes. Tout fonctionne à moitié et tourne au ralenti. Il y a une répercussion au niveau financier. Il y a aussi quelque part une certaine pression des familles, mais on en a l’habitude».

ETAT DES LIEUX - 45 JOURS DE REPOS POUR MAGISTRATS, GREFFIERS ET CORPS ASSIMILES : Le temps des audiences de vacation

Depuis le 1er août dernier, les vacances judiciaires ont débuté au Sénégal. En fait, il ne s'agit pas de vacances au vrai sens du terme, puisque le secteur de la justice continue de fonctionner. Mais le fonctionnement se fait au ralenti. Autrement dit, le rythme de travail dans les juridictions fonctionne à petits pas. La famille judiciaire s’offre ainsi quelques semaines de repos faisant que Dame justice s'administre à un rythme moins soutenu. A signaler que ces vacances judiciaires concernent tout le personnel judiciaire : magistrats, greffiers, secrétaires de directions, secrétaires commis, agents administratifs et autres corps assimilés. La particularité des vacances judicaires de cette année est que la matière pénale connaît des perturbations. Les audiences de flagrants délits, qui se tenaient toute la semaine excepté le week-end, se tiennent seulement les lundis, mercredis et vendredis. «Ces vacances sont réparties en deux périodes de 45 jours chacune. La première s'étale du 1er août au 15 septembre. La seconde est comprise entre le 16 septembre et le 30 octobre», renseigne une source judiciaire.

Durant chaque phase, il y a un groupe de magistrats qui assurent le service minimum dans les juridictions. «Seuls les mois d'août, de septembre et d'octobre sont consacrés aux vacances judiciaires. En dehors de cette période, il n'est pas permis à un fonctionnaire judiciaire de partir en vacances. Contrairement à ce qui se passe dans l’Administration et dans les autres corps de l’Etat», explique un magistrat, sous couvert d’anonymat.  Toutefois, l’on précise qu’il est prévu des congés de 45 jours pour les magistrats et des congés annuels allant de 15 jours à un mois pour les greffiers. «A la différence des autres corps de l’Etat qui peuvent prendre leurs vacances à n'importe quelle période de l'année, les vacances judiciaires ne peuvent se dérouler que dans l'intervalle comprise entre le 1er août et le 30 octobre. Durant cette période, la justice fonctionne au ralenti, avec une permanence au niveau de chaque juridiction, le temps des audiences de vacation», renseigne une source proche de la Cour d’appel de Dakar.

SOLUTIONS - SUPPRESSION DES VACANCES JUDICIAIRES : Les greffiers préconisent des mesures d’accompagnement

La révélation est faite par des greffiers interrogés sur le sujet. En effet, l’idée de ramener les congés annuels des magistrats de 45 à 30 jours par le biais d’une suppression des vacances judiciaires a été brandie en premier lieu par des avocats. Qui se sont plaints auprès du ministre de la Justice. Le motif invoqué par ces robes noires est le «préjudice financier» subi lors de ces congés annuels. Pour ces avocats, «il n’est pas question de mettre en péril une institution judiciaire pour un besoin de repos».

En tout état de cause, certains greffiers préconisent des mesures d’accompagnement en ce qui concerne la suppression des 15 jours sur les 45 que durent les congés annuels de ces agents de l’Etat. «La suppression des vacances judiciaires doit s’accompagner d’une diminution du temps de travail, et les audiences doivent prendre fin à 17 heures. Et que l’on permette aux magistrats de prendre leurs congés (annuels) à n’importe quelle période de l’année. Nous sommes régis par le régime spécifique comme l’Armée et les enseignants. Pour nous appliquer le régime général de la fonction publique, il faudrait ramener la possibilité de prendre les congés annuels à temps réel», avance un greffier interrogé sur la question.

Dossier réalisé par Pape NDIAYE & Salma NIASSE



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