
Sambrambougou confirme cette croyance très répandue sur les sites d’orpaillage selon laquelle or rime avec souillure. Plus on est souillé, mieux c’est. Conséquence, ici, le sexe fait partie de la vie des orpailleurs. Ce village est aussi une plaque tournante de la prostitution où plusieurs nationalités se côtoient. La jolie Azawatou âgée seulement de 2 mois dormant dans les bras de sa mère Fanta, une Nigériane de 28 ans mariée à un orpailleur burkinabè, est bercée à l’endroit le plus réputé de Sambrambougou lorsque nous rencontrons sa maman. A ce domicile des prostituées, constitué de plusieurs paillotes, le lieu grouille essentiellement de jeunes filles nigérianes, ghanéennes, burkinabès, guinéennes, maliennes, camerounaises, sierra-léonaises prêtes à envoyer les hommes en chaleur au septième ciel au comptant. La passe est habituellement à 5 000 francs. Mais, ce montant peut atteindre les 100 mille balles pour le client qui veut passer à l’acte sans mettre un préservatif. Un risque que certaines filles, qui affirment travailler à la solde d’un réseau de proxénètes basés au Mali voisin, n’hésitent pas à prendre.
«Ma fille n’est pas née de la prostitution, car je n’en fais pas partie. Je suis venue rendre visite à mes compatriotes parmi lesquels il y a bien sûr des prostituées», lance Fanta non sans nier la fréquence des grossesses sur ce site. «Une de (ses) amies qui a récemment accouché a enterré son bébé deux jours après sa naissance», confie-t-elle tout en s’en prenant à l’inexistence de structures de santé dans cette localité pour assurer aux femmes qui accouchent un suivi médical. Fanta ne voit pas d’inconvénient à ce que les filles se prostituent. L’essentiel, pour elle, étant qu’elles soient conscientes des risques du métier, notamment le Sida, les hépatites, les Ist. «Toutes celles que je connais ici se rendent tous les trois mois à Saraya pour faire des visites médicales. Au cas où on aurait détecté quelqu’un parmi elles qui est malade, on lui donne une carte l’interdisant d’entretenir tout rapport sexuel avec les hommes», explique notre interlocutrice. Elle déclare cependant ne connaître aucune fille chez qui le virus du Sida a été détecté. «Nous, les Nigérianes, nous respectons beaucoup notre corps pour songer coucher avec un garçon sans préservatif. Même si l’homme propose 10 mille francs, le port de préservatif est exigé. Les filles nigérianes se respectent beaucoup et ne font rien sans condoms», dédouane Fanta.
Des femmes mises en location
Mais, cette prostitution notoire des filles étrangères en cache une autre, celle dite déguisée à laquelle s’adonnent les filles et certaines femmes du village. «Pour certaines, il faut nécessairement 100 000 francs pour commencer une relation amoureuse. Les filles adorent l’argent. Si on est accro au sexe, on n’est jamais riche, car chaque jour que Dieu fait, elles viennent te soumettre un problème qui demande beaucoup d’argent pour être réglé», confie Abdoulaye Traoré, un orpailleur burkinabè. Malgré cette surenchère des filles, il souligne que certains hommes sont toujours disposés à casquer au prix fort. Plus grave, révèle notre interlocuteur, guidés par le gain facile, «certains maris n’hésitent pas à mettre en location leurs femmes». «Comme chez les prostituées qui, au gré des contextes, se lancent dans une promotion du sexe pendant laquelle la partie de plaisir passe de 5 000 à 2 000 francs. Dans le village, des maris qui n’ignorent rien des escapades de leurs épouses vont directement traiter avec les prétendants de ces dernières qui ne se doutent parfois de rien. Il y en a qui le font à raison 300 mille le mois», affirme Abdoulaye Traoré, sur un air, on ne peut plus sérieux. Cette prostitution incontrôlée vient confirmer les résultats de la dernière Enquête démographique et de santé (Eds5) qui indiquent une prévalence du Vih/Sida de 1,7 % dans la région de Kédougou nettement supérieure à la moyenne nationale égale à 0,7 %. Devant l’indignation générale, la communauté semble toutefois impuissante pour combattre le mal des prostituées étrangères et des femmes du terroir. Car, d’après notre source, une assemblée générale réunissant les sages du village avait décidé de déguerpir les travailleuses du sexe. En réaction à cette mesure, les orpailleurs qui sentaient leur confort compromis, avaient eux aussi brandi la menace de se rabattre sur les femmes mariées du village après le départ des filles.
FEMINISATION DU SECTEUR DE L’ORPAILLAGE : Le triste sort des filles dans les Dioura
Il n’y a pas que les garçons qui vont chercher l’or dans les Dioura. De plus en plus, les filles aussi tentent leur chance dans ce champ de cailloux où les hommes cherchent toujours à s’imposer.
Fraîchement arrivée du Mali, Fanta, jeune adolescente, avoue avoir débarqué à Sambrambougou dans l’espoir de trouver un potentiel employeur dans les Dioura. Elle soutient ne rien connaître du coin qui dégage un parfum d’hommes. Drapée d’un pagne démodé, l’air égaré, Fanta semble indisposée par notre présence à ses côtés, ce qui pouvait bousiller ses chances de trouver un employeur parmi les orpailleurs. Ils peuvent penser qu’elle a déjà trouvé un patron et détourner le regard sur elle. Comme elle, Nana Ndiaye, plus âgée, vient de la Guinée où elle a laissé son petit commerce et ses trois enfants pour l’or de Sambrambougou. «Je suis là depuis huit mois, mais je ne trouve pas encore de l’or», lance-t-elle timidement. «Nous sommes comme une société autour de chaque trou où il y a un patron et ses employés. Il y a des femmes et des hommes. Les hommes descendent creuser et les femmes se chargent de remonter les cailloux riches en or en surface», explique notre interlocutrice avouant combien ce travail est pénible. Nana peut s’estimer heureuse, puisqu’elle peut compter sur l’aide de son grand frère Moctar Ndiaye chez qui elle vit dans les moments les plus difficiles de son séjour à Sambrambougou.
Contrairement à beaucoup de filles travaillant sur le site qui n’arrivent pas à assurer leurs moyens de subsistance. Celles-ci doivent, malheureusement, compter sur la générosité mesquine des hommes qui prennent toujours un malin plaisir à les faire chanter. «Certaines parmi les filles sont invitées à descendre dans les trous par les hommes et ce, en plein jour, pour une partie de jambes en l’air moyennant de l’argent. Ce qui leur permet de faire face à leurs problèmes de nourriture, de logement, par exemple», confie Nana qui se détache de ce lot de jeunes filles dans le besoin. Elle affirme gérer, avec philosophie, sa vie conjugale loin de son mari qui se trouve actuellement en Mauritanie. Malgré le fait qu’elle soit mariée, Nana confesse que des hommes n’hésitent pas à lui faire la cour. Tout ce dont elle n’a pas peur, déclare-t-elle. «Si tu as un comportement respectueux, les hommes ont peur de persister dans leur sale habitude, mais si tu leur fais les yeux doux, ils te prennent pour une femme de mœurs légères», argumente Nana.
SE PROSTITUER MALGRE SOI : Comment les filles tombent dans le piège
Dans la zone d’orpaillage de Sambrambougou, les filles se prostituent, certes. Mais, elles n’ont pas choisi de le devenir. La plupart des prostituées affirment y avoir été entraînées de force. Une contrainte immorale qui met à nu le phénomène de la traite des personnes entretenue par un vaste réseau de proxénètes. Mais, au-delà, c’est la question de l’immigration sud-sud dont on ne parle pas très souvent qui se révèle au grand jour. Elle s’appelle Love et est couturière venue à Sambrambougou par la route en janvier dernier, pour des raisons purement professionnelles. «Ma patronne m’avait fait croire que la couture marchait bien au Sénégal et que je pouvais me faire beaucoup d’argent», confie la jeune nigériane. N’ayant aucune idée de ce qu’était Sambarambougou auparavant, Love découvrira la surprise de sa vie quand elle a été astreinte par sa patronne à lui payer le montant d’un million cinq cent mille Cfa en guise de caution pour leur séjour au Sénégal. «De toutes les façons, c’est valable pour toutes les filles qui arrivent à Sambrambougou. Je ne suis pas encore quitte avec ma patronne car je reste lui devoir deux cent mille francs», révèle notre interlocutrice debout devant la porte de sa petite case, le corps à moitié drapé d’un pagne multicolore troué par endroits.
Depuis janvier qu’elle est dans ce métier à Sambrambougou, Love a dû mettre les bouchées doubles pour récolter autant d’argent voire plus pour ne pas s’attirer des ennuis. Sans pouvoir estimer le nombre de filles qui sont dans cette même galère, elle indique, toutefois, qu’elles sont nombreuses à vivre cette traite. Et parmi elles, figurent des Maliennes, Ghanéennes, Nigérianes, Burkinabès, Guinéennes, Sierra Léonaises, Togolaises et mêmes des Sénégalaises. Elle affirme être consciente que si elle veut payer l’intégralité de la somme due à sa patronne, elle doit rester en bonne santé. Pour cette raison, elle déclare décliner beaucoup de propositions d’hommes qui voudraient entretenir des rapports sexuels avec elle sans protection moyennant 200 mille francs. En plus, elle confie se rendre chaque mois en consultations médicales auprès des structures de santé de Diabougou. Ce qu’elle considère comme une obligation afin de jauger son niveau de santé. Anciennement élève en coiffure et footballeuse dans son pays au Nigeria, Queens, 33 ans, soutient en avoir marre de cet asservissement. «Je veux arrêter ce métier, car je n’ai jamais imaginé qu’un jour j’allais me retrouver dans cette situation. J’avais une vie familiale comme tous les autres, j’avais une éducation, mon bonheur à moi, mais dès que je suis venue ici, je me suis retrouvée piégée. C’est une chose à laquelle je n’ai jamais pensé».
Xénophobie grandissante
Alors que le malheur s’abat sur elles, les filles soumises à la prostitution font l’objet de xénophobie à Sambrambougou où elles se demandent pourquoi les Sénégalais les haïssent tant au point de s’en prendre quotidiennement à elles pour un oui ou pour non. «Plusieurs fois au poste de police de Diabougou où je me rendais souvent pour me plaindre d’attaques verbales ou d’agressions, on m’a fait comprendre que j’étais une étrangère, que je ne pouvais me comporter comme si j’étais chez moi. Les policiers me disent toujours que si j’ai des pépins, c’est à mes risques et périls», se plaint Love, une prostituée nigériane de 23 ans. Des confidences que confirme Fanta qui soutient avoir été libérée de prison deux mois avant son accouchement. «Dans mon état de grossesse, on m’a mise en prison pendant trois mois parce que je tenais un débit de boissons alcoolisées à Sambrambougou où des hommes sont venus me trouver pour me faire des histoires», dénonce Fanta. Elle affirme avoir perdu près de deux millions Cfa pour l’obtention d’une licence, car des gendarmes l’ont souvent abusée en lui promettant les papiers administratifs nécessaires. Parce qu’elles sentent l’argent, les prostituées demeurent, par ailleurs, d’éternelles cibles des agresseurs qui viennent défoncer leurs maisons en paille afin de leur soutirer les recettes nocturnes. «Ils viennent voler notre argent et s’en vont. Il y a dans chaque abri huit voire neuf filles qui y dorment et il arrive que les hommes qui les fréquentent passent du bon temps avec elles, les droguent ensuite, puis les dépouillent totalement de leurs fortunes», raconte-t-elle. Elle poursuit que c’est pour cette raison que les filles se méfient de certains hommes qui se présentent à elles pour une passe. Elle affirme que les filles sont accusées à tort de droguer les clients pour les plumer.
Retour au bercail
Parmi les filles qui ressentent un besoin démesuré de retourner chez elles, Love qui compte regagner le bercail lorsqu’elle finira de payer sa dette. «Si j’avais les moyens, j’allais rentrer aujourd’hui même au Nigeria», déclare-t-elle, s’estimant prise en otage. C’est ainsi qu’elle interpelle l’ambassadeur du Nigeria au Sénégal dans ce sens. «Les autorités diplomatiques du Nigeria doivent savoir que leurs compatriotes sont en difficultés à Sambrambougou et qu’elles veulent rentrer à la maison», lance-t-elle. Love explique que le silence des prostituées est favorisé par leur éloignement des capitales régionales où elles peuvent dénoncer leur sort ou demander de l’aide extérieure. Quant à Queens, une autre Nigériane, également convoyée au Sénégal par sa patronne qui ne se signale à elle que les fins du mois, elle déclare être prête à quitter ce lieu de débauche, à défaut de changer de situation. Tout dépend, selon elle, de ce qu’on va lui proposer pour l’extirper des griffes de cette prostitution obligée.Alors que plusieurs d’entre elles ont perdu le contact avec leurs familles, Queens affirme recevoir régulièrement les nouvelles du pays. «C’est difficile de vivre loin de ses enfants surtout quand on est femme. Figurez-vous que je n’ai même pas pu être présente lors des funérailles de mon fils cadet décédé au début du mois de novembre dernier au Nigeria», se plaint-elle.
(A suivre)
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