
Ceux qui n’ont pas la chance de connaître la richesse de la culture en Casamance peuvent se rattraper à travers l’exposition de Abdoulaye Cisso Mané. Intitulée Casamance, l’auteur y peint «l’horreur» qui sévit dans cette partie méridionale du Sénégal.
Un visage à peine identifiable flottant dans une mare de sang, à
côté du feu, des habitats consumés. Face à cette désolation, une petite
voix s’échappe pour dire : «Djibonket», (pardon, en diola). «Le sang a
trop coulé en Casamance», souffle-t-on. Ce tableau de «désolation»
fait partie de l’exposition intitulée Casamance. Des œuvres d’art qui
reproduisent la situation en Casamance en proie à un irrédentisme social
depuis plus de trente ans. Riche de 41 tableaux, l’exposition, en cours
sur les cimaises de la Galerie nationale d’art, semble être divisée en
trois temps : la guerre (Du tableau 1 Djibonket au 6 Feu de mini),
conséquences de la guerre (du tableau 13 jusqu’au numéro 26 Femmes en
exil n°2 et enfin les œuvres de la série 28 à la fin qui portent sur la
cérémonie d’initiation, les repiqueuses de riz en Casamance).
A travers «la première» série intitulée Mines, l’auteur peint l’histoire douloureuse de la Casamance. Devant ce drame, l’humain disparaît face à la «brutalité» du feu destructeur. «Rien d’autre que des couleurs et des taches abstraites, parfois des paroles accrochées au désespoir. Les mines ont arrêté leur concert de mort, beaucoup sont revenus. D’autres ont pris la voie de la mer, ils ont mis dans des pirogues surchargées leurs rêves d’un travail, d’une vie digne pour eux et pour ceux qui les attendent, beaucoup ne reviendront pas», dénonce l’auteur Abdoulaye Cisso Mané. C’est le moment choisi par l’artiste de narrer, à travers ses tableaux d’art, le désespoir qui habite les Casamançais après la guerre. Et le silence devient «lourd» pour le visiteur face aux longues files des déplacés. Des villageois que la guerre oblige à partir, chargés de leurs fardeaux. Marchant en file indienne, bagages posés sur la tête, d’autres mis en bandoulière, les villageois quittent «leur maison détruite pour un futur incertain». La série des rizières complète la collection intitulée fruit d’une riche rétrospective des anciens et nouveaux productions picturales de l’auteur qui nous plonge doucement dans «le paysage riant et festif de la récolte». «Nature et population sont fondues dans une symphonie de couleurs joyeuses, exprime Abdoulaye Cisso Mané. Tandis que les premiers plans des tableaux sur les cérémonies traditionnelles du Boukoute sentent la chaleur des corps qui dansent sous les masques et les rythmes hypnotiques des tambours».
Ce qu’en pensent les premiers visiteurs
Sur d’autres plans, le visiteur se revigore des cérémonies traditionnelles du Boukoute (l’initiation) où on ressent «la chaleur des corps qui dansent sous les masques et les rythmes hypnotiques des tambours». Dans ces œuvres d’art -du collant intégré avec de la peinture- Mané se sert surtout du charbon de bois, du tissu brûlé, de l’acrylique et des couleurs rouge et jaune. Un mélange harmonieux des couleurs qui ne cesse d’éblouir les nombreux admirateurs de l’auteur. «Je connais bien son travail parce qu’étant un de ses collectionneurs. J’ai déjà 6 de ses œuvres», indique Ousmane Sow Huchard qui affiche le sourire après avoir acquis les tableaux 1, 13 et 41 de l’exposition. Selon lui, lesdits tableaux sont de «haute facture». «L’auteur a déjà fait une série sur l’émigration clandestine que j’ai beaucoup aimée. Ici, l’exposition porte de manière générale sur le problème global de la Casamance. Nous sommes meurtris et on espère seulement que tous les cadres originaires de la Casamance vont venir soutenir l’artiste et essayer de capter le témoignage qu’il lance à travers ses œuvres», confie l’ancien conservateur en chef du musée Dynamique et premier directeur de la Galerie nationale.
Présent au vernissage, Saliou Sambou, ancien gouverneur de la ville de Dakar demande pardon en appréciant le tableau 1 Djibonket. Il souhaite un retour de la paix en Casamance. «Pardon pour que la paix revienne en Casamance ! Pardon pour que le Sénégal soit ce qu’il n’a jamais été, ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être, un havre de paix de téranga! Pardon pour la Casamance qui paradoxalement a vu un conflit depuis 1982 qui ne voit pas de fin ! Pardon parce que tout cela est un paradoxe dans la mesure où la Casamance elle-même est un havre de paix, un microcosme de l’Afrique de l’Ouest où cohabitent toutes les ethnies de l’Afrique de l’Ouest. Rêvons ensemble de la paix et ce sera son début», a plaidé l’ancien gouverneur de Dakar. Pour le critique d’art Alioune Badiane, le discours de l’artiste est «clair» et son langage «précis». «L’artiste a présenté des peintures où on sent qu’il y a un discours, quelque chose à dire sur la Casamance, sur sa nature, ses crises, sur ses désespoirs et ses espoirs. J’estime que la plupart des tableaux que l’artiste a présentés exprime bien ce que l’artiste ressent», analyse-t-il en demandant à l’auteur de «continuer» sur cette lancée.
Cette exposition intitulée Casamance prend fin le 17 courant. L’artiste Abdoulaye Cisso Mané, qui a commencé la peinture avant le Cours d’initiation (Ci), est de la promotion 2000 de l’Ecole nationale des arts de Dakar.
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