
LE PLUS. Il a créé la surprise. En poussant le président Wade à un deuxième tour, Macky Sall a ouvert la voie à l'alternance politique au Sénégal. Mais malgré le désir réel de changement manifesté par le peuple sénégalais, il convient de rester prudent quant à l'issue du scrutin, explique le philosophe Cheikh Mbacke Gueye.
Par Cheikh Mbacké Gueye Docteur en philosophie - Edité et parrainé par Sébastien Billard
Comme en 2000, les élections du 26 février 2012 étaient entourées d’incertitudes et de craintes. D’ailleurs, certaines chancelleries avaient déjà donné l’ordre à leurs ressortissants de se tenir prêts au cas où le pays connaîtrait le chaos. Contrairement à la situation de 2000, la précampagne comme la campagne, entachée par la validation très contestée par le Conseil constitutionnel d’un troisième mandat pour le président sortant Abdoulaye Wade, ont été empreintes de violences épouvantables qui ont causé la mort d’une quinzaine de personnes.
Tout était donc réuni pour que le Sénégal connaisse un chaos complet (comme la Côte d’ivoire l'avait connu un an plus tôt) tant les symptômes initiaux se ressemblaient : décision contestée du Conseil constitutionnel, dialogue politique rompu, front social tendu... Seulement, voilà qu’au lendemain des élections du 26 février, le Sénégal a réitéré son coup de 2000 en surprenant tous ceux qui prédisaient le chaos. Les Sénégalais sont allés voter dans le calme et la paix, puis sont rentrés chez eux.
Mais au-delà de cette posture responsable et citoyenne, il y a lieu de relever d’autres faits majeurs qui ont marqué le premier tour de ces élections. Sans pour autant verser prématurément dans une euphorie déplacée, il faut noter une certaine maturité du peuple sénégalais qui, non seulement sait se retrouver autour de l’essentiel, mais est aussi conscient du pouvoir de sa carte d’électeur.
La maturité politique des Sénégalais
Depuis 2000, où les mythes de l’impuissance et de l’indifférence avaient cédé le pas à la réalité du choix effectif citoyen, le pouvoir et la souveraineté avaient fini de revenir au peuple. En effet, nonobstant les nombreuses écueils et incertitudes qui prévalaient jusqu’à la veille des élections, les Sénégalais se sont rendus massivement aux urnes (avec un taux de participation de 58%) pour porter leurs choix sur les candidats au fauteuil présidentiel.
Ainsi les Sénégalais ont-ils décidé d’envoyer dos-à-dos Macky Sall et le président sortant Wade. Ce combat, que d’aucuns ont qualifié de combat entre le maître et le disciple, représente pour moi celui de l’arrogance face à l’humilité. Le camp présidentiel, après la mue extraordinaire qu’il a opérée en se débarrassant aussi bien de ses alliés de 2000 (dont Moustapha Niass qui était l’arbitre du deuxième tour) que de ses fils (dont Macky Sall et Idrissa Seck), auprès desquels il a toujours porté le combat du "sopi" (changement), s’est piètrement illustré par une condescendance injustifiée envers le peuple avec en toile de fond une succession de scandales tout aussi choquants qu’excessifs.
Les seules réponses données aux problèmes du peuple se résumaient alors en ces termes : cynisme, excès, insolence et j’en passe. Le "sopi" original et originel s’est ainsi vu dévoyé par une bande d’hommes nouveaux dont l’opportunisme sans précédent est à la mesure de leurs aspirations égoïstes et fugaces ; le pape du "sopi", Abdoulaye Wade, en s’imposant lui-même un dilemme cornélien inutile qui le plaçait devant le choix entre son fils biologique (Karim Wade) et ses fils spirituels (d’emprunt), avait fini d’installer un climat très défavorable pour son parti et pour le pays.
Restaurer les fondements de la République
D’autre part, Macky Sall, son challenger pour ce deuxième tour, défenestré de la présidence de l’Assemblée nationale pour avoir "osé" vouloir amener Karim Wade à rendre compte au peuple de l’argent qu’il a eu à gérer pour les travaux pour le sommet de l’OCI (Organisation de la conférence islamique), qui s’est tenu en Mars 2008, a fait montre d’une juste cohérence en démissionnant du Parti démocratique sénégalais (PDS) et de tous les postes politiques qui s’y rattachaient. Une leçon de cohérence certes, mais aussi d’intégrité et d’humilité. Et depuis 2008, Macky n’a fait que sillonner le Sénégal et la diaspora afin de faire passer son message.
Ainsi appelé à parachever le vœu du peuple qui est de sanctionner le régime en place avec ses pratiques hétérodoxes et antidémocratiques, Macky Sall aura la lourde tâche de non seulement gagner le deuxième tour, mais encore de poser les jalons d’un renouveau sur les plans politique, social et économique. Il devra restaurer les fondements de la République et redonner aux Sénégalais l’espoir de pouvoir croire à nouveau à la politique.
Cependant, il faut se garder de crier victoire avant que celle-ci ne soit réalité. En effet, le régime actuel, dos au mur, n’hésitera pas une seconde à user de tous les moyens pour pouvoir demeurer au pouvoir. Des alliances politiques (même celles contre-nature) aux bluffs médiatiques en passant par les tentatives de manipulation des votes des Sénégalais, tous les moyens seront bons pour ce régime pour sauver sa peau. N’est-ce pas le porte-parole du président même qui déclarait qu’en cas de perte du pouvoir beaucoup d’entre les pontes du régime iront en prison ?
Toutefois, prudence et vigilance doivent rester de mise pour qu’au soir du 25 mars, les voix du peuple souverain puissent compter et être comptées.
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