
LE PLUS. Unanimité consensuelle ce jeudi matin autour du décès de Steve Jobs. Génie, dieu, dans les médias les mots pour décrire la carrière auréolée de succès de l'entrepreneur américain sont forts. Et nous rappellent que l'humain a encore une place dans une société du tout-technologique.
Réveil machinal. Saut du lit. Jus de fruit. Ouverture de Facebook. Et là, la nouvelle. Steve Jobs est décédé. Hommage unanime, première page endeuillée de Wired, le magazine référence de la culture de la Silicon Valley, hommage sur la première page de Google, gros titres à prévoir, nécrologies partout. Sur les réseaux sociaux, on partage des vidéos inspirantes on déclare s'en foutre aussi : pas de surprise, toute la palette des comportements humains se dévoile.
Sous le déluge d'articles et d'hommages, ce décès nous surprend car il nous rappelle la place de l'humain dans notre société du tout-technologique.
L'homme, ou les machines ?
La première hésitation lorsque l'on désire évoquer ce décès : devrait-on parler des réalisations de Jobs ? Devrais-je évoquer les dizaines d'appareils que j'ai pu posséder frappés de la pomme ? Les biographes du jour hésitent, et à raison : plus que jamais dans le cas d'un capitaine d'industrie, on serait tenté de confondre l'homme et ses produits, comme si l'un valait l'autre. Comme s'il y avait équivalence entre la machine et l'homme. Personnalisé, le mac a t'il "perdu son père aujourd'hui" ? Non, mon mac va très bien, merci. Ne confondons pas tout.
Le mythe rassurant du génie
Visionnaire ? Génial ? Dieu ? Steve Jobs rassurait : il était la personnification du génie, c'est à dire l'explication rationnelle de l'évolution des techniques. Perdus que nous sommes au milieu de la révolution permanente, Steve Jobs était une figure rassurante, presque biblique, qui permettait de mettre un visage sur le progrès technique. La micro-informatique n'allait pas dans le mur, elle n'était pas une créature folle lancée dans toutes les directions à la fois, ni le résultat tangible d'une bureaucratie de la R&D, mais le fruit d'un homme différent des autres. Une explication très fausse, mais un ressenti terriblement rassurant. La fin des idéologies dans la dernière partie du XXe siècle coïncidait avec le début des mythes de l'informatique. Le guide fondateur nous montrait la voie. "Il" révolutionnait le monde à chaque lancement de produit, car "il" savait ce qui est bon pour nous.
Steve Jobs n'était pas informaticien. Certes, il était un hacker de l'époque, un bidouilleur, mais le seul cours qui l'avait passionné avant de quitter l'université était la calligraphie. Homme de l'Art, amateur de design, connu pour son goût pour les stéréos danoises et les voitures allemandes, Steve Jobs était peut être le dernier signe que la technique pouvait être au service de l'Art. La crainte du jour : que les ingénieurs reprennent les commandes de l'évolution informatique, que les chefs-produits reprennent le contrôle. Avec la première valorisation à la bourse de New York, Apple est cependant loin d'avoir dit son dernier mot.
Les journalistes croient-ils en Dieu ?
Pain béni pour les journalistes : quand un homme incarne une industrie, il est d'autant plus facile de tout simplifier. Steve Jobs est un iPad. Porté aux nues aujourd'hui, demain on se rappellera aussi que Dieu a imposé son jardin d'Eden : le "Walled garden", ce principe de liberté de l'utilisateur au sein d'un système très contraignant. Installer une application non validée par Apple sur son iPhone est impossible en principe. Pour l'heure, c'est l'émotion qui l'emporte : Dieu le père fait trembler les rédactions. Un fabricant d'ordinateurs fera la une des journaux, devant la politique.
Intercesseur entre le monde des idées et le monde du produit (avec un peu d'aide du marketing), Steve Jobs incarnait la figure de Prométhée, celui qui avait volé le feu - la technique - aux Dieux. Même en 2011, nous avons besoin de nous raccrocher à cette idée rassurante : que l'homme a une capacité d'action. Au Moyen-Orient, les révolutions sont collectives, en occident les indignés et les hackers sont anonymes, mais ce jour nous rappelle que, toutes proportions gardées, l'individu peut avoir un impact sur le cours de l'histoire. Quelle idée séduisante !
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