
La loi sur la baisse du loyer est un cadeau empoisonné pour certains locataires qui sont en guerre ouverte avec leurs bailleurs. Les bras de fer prennent de plus en plus des tours dramatiques. Reportage.
Il fallait s'y
attendre, la loi portant baisse des loyers ne va en rien apaiser les relations
entre locataires et bailleurs. Ces derniers avaient annoncé la couleur.
Aujourd'hui, ils en font voir de toutes les couleurs aux locataires. Avec, la
promulgation de la loi, le 22 janvier 2014, les locataires avaient esquissé un
large sourire. Aujourd'hui, c'est le temps de la confrontation et des
grincements de dents.
EnQuête a fait le
tour de la capitale pour essayer de voir comment les uns et les autres essaient
de mettre en application cette loi. Dans de nombreux cas, la bonne entente a
laissé place à de l'animosité. Chaque camp reste campé sur sa position. Ce qui
augure de lendemains désenchanteurs. Locataires et bailleurs, deux vieux
partenaires commencent à devenir des ''ennemis'' divisés par une loi.
L'équation des
locataires de nationalité étrangère
C'est le cas à
Fass Delorme est des quartiers nichés au cœur de Dakar. Avec ses airs de
bidonville, ses rues parsemées de soudeurs, mécaniciens, et laveurs de voitures
occupés, en cet après-midi peu ensoleillé, à leur tâche, le quartier est le
refuge d'une grande communauté étrangère. Naturellement, la baisse du loyer y
est devenue un sujet de conversation privilégié. Patrick Anderson, locataire
d'un grand immeuble marron, est un étudiant camerounais qui occupe une chambre
au rez-de-chaussée. Jusqu'ici, il payait 85 000f, par mois.
Après la
promulgation de la loi, il a voulu appliquer le nouveau tarif, mais son
bailleur n'a rien voulu entendre. ''Quand je suis allé payer le loyer, mon bailleur m'a fait savoir que cette baisse
ne concerne que les sénégalais''. Avec la loi, Patrick doit maintenant payer 60
350f. Avec le refus de son bailleur, il a décidé d'attendre et de voir la suite
des événements. ''J'ai décidé de ne rien lui donner, en attendant que la
situation revienne à la normale'', confie l'étudiant peiné par la situation. Au
second étage, Nadège Assale est en train de faire le linge.
Cette commerciale
dans un centre de la place a bien l'intention de faire appliquer la loi. ''Je
ne vais pas négocier. C'est faux, quand il dit que cette baisse ne concerne que
les sénégalais. Une loi on la vote pour tout le monde. Je suis gabonaise et je
vais appliquer la loi. Sinon, nous irons déposer une plainte, s'il veut nous
créer des problèmes'', martèle-t-elle. Par contre, Audrey Santos a été ébranlée
par les arguments du bailleur.
''Un ami,
dit-elle, m'a donné le rapport étudié à l’Assemblée nationale. Il y est
mentionné que les parlementaires doivent voter cette loi, afin que les
sénégalais puissent avoir accès à l'habitat social. Alors que les locataires ne
sont pas seulement des sénégalais''. Toutefois, elle n'a pas encore donné sa
paie, car elle a décidé de suivre le mot d'ordre de ses colocataires, en
attendant d'y voir plus clair.
Momar Ndao,
Ascosen : ''La loi est impersonnelle...''
Nous avons pu
joindre le propriétaire de l’immeuble, Amadou Diarra. ''Il n'est mentionné nulle part que la loi
doit être appliquée pour les étrangers. On a parlé des sénégalais. Donc, si
j'ai des documents qui montrent clairement que mes locataires en font partie,
je vais appliquer la loi'', a-t-il soutenu. Ainsi, pour en avoir le cœur net,
EnQuête a posé la question au président de l'association des consuméristes du
Sénégal (Ascosen) Momar Ndao.
''C'est insulter
l'esprit des gens, en disant que la loi ne concerne que les sénégalais. La loi
est impersonnelle. Elle est faite pour tous les locataires, étrangers comme
sénégalais. Ce qui veut dire qu'elle doit être appliquée par tout le monde,
sans distinction ethnique, religieuse et autres. Le décret sur la surface
corrigée a été modifié et mis en place'', a précisé M. Ndao.
''Nous avons déjà
rédigé notre plainte''
À quelques
encablures se trouve un autre immeuble en marbre. La demeure accueille des
étudiants marocains. Elle a 5 chambres avec douches intérieures et un grand
salon que partagent ses occupants. Jusqu'ici, chacun paie 90 000f, la chambre.
Soit un total de 450 000f, par mois. Mais depuis que la loi a été promulguée,
le bailleur refuse d'appliquer la baisse de 29% prévue pour les mensualités de
moins de 150 000f.
Il campe sur une
baisse de 14%. Sherina Asaché, trouvée en train de regarder les informations à
la télé, raconte que le bailleur est venu les trouver, le lendemain de la
promulgation de la loi, pour leur en faire l'annonce. ''Nous payons
individuellement nos chambres. Normalement, chacun de nous devrait payer 63 900
francs, avec la réduction. Mais, il soutient nous devons payer en fonction du
prix de l'immeuble et que celui-ci coûte plus de 150 000f.
Nous avons
refusé. Il menace de nous expulser'', confie-t-elle. Son voisin Mohamed Sheida
révèle leur résolution. ''Nous avons déjà écrit notre plainte. Nous comptons la
déposer aujourd'hui, parce que c'est de l'arnaque. Nous avons signé des
contrats individuels. Nous n'avons pas loué les chambres, en fonction du prix
de la maison. Je suis partie à la police de Gueule Tapée pour leur expliquer la
situation. Nous ne comptons pas en rester là'', souligne Mohamed.
Arouna Ndiaye,
leur bailleur, ne compte également pas lâcher du lest. ''Ils ont voulu jouer
aux malins avec moi. C'est une famille qui loge dans mon appartement et veut
que j'applique la réduction de 29%. Ils sont tous parents. Les contrats sont
individuels, mais je me suis rendu compte que c'est une famille. Ils doivent
payer le prix de la maison, parce que cette baisse ne m'arrangerait pas'',
dit-il.
Sentiment et
chantage
Ailleurs à la
Zone de captage, c'est la même situation tendue entre locataires et bailleurs.
Fatou Sène a accepté un arrangement avec son bailleur. Elle payait 50 000f, par
mois. En appliquant le taux de 29%, elle aurait dû payer ce mois-ci 35 500f, au
lieu de quoi, elle a payé 40.000fr. Car son logeur a argué une réduction, en
fonction du prix de la maison, mais non des chambres.
''Je payais la
chambre à 50.000frs. Il a refusé la réduction de 29%. Je lui ai fait savoir que
je ne peux pas payer la même somme. On s'est entendu sur la somme de 40.000f'',
informe-t-elle. L'appartement possède 3 chambres. Si Fatou a accepté de payer
40 000, c'est également à cause des relations qu'elle entretient avec la femme
de son logeur qu'elle considère comme une maman.
À la Gueule
Tapée, c'est la même rengaine. ''Notre bailleur nous a dit clairement qu'il ne
va pas appliquer la loi, parce qu'il paie des impôts et des fiscalités, à notre
place. En plus, il soutient que nous sommes dans l'informel, parce que nous
n'avons pas de contrats'', raconte Oumy Dia qui loge dans un grand immeuble.
La fille partage
la chambre avec une colocataire. Hier, raconte-t-elle, le propriétaire est venu
à la charge. ''Il est revenu ce matin
nous dire qu'il peut appliquer la loi, à condition qu'il y ait une seule
personne dans la chambre, parce que c'est ce que dit la loi. Nous payons 65.000frs, le mois'', renseigne notre
interlocutrice.
Alpha Ousmane
Ndiaye, agressé par son bailleur
L'homme est
arrivé à 19 heures dans les locaux d'EnQuête. De taille élancée, la silhouette
mince et la mine déterminée Alpha Ousmane Ndiaye voulait racontait son
histoire. La lèvre supérieure fendue, l'homme dans son jean bleu et son jacket
noir, s'est présenté comme ''la première victime de la baisse du loyer''. Muni d'un certificat médical faisant état
d'une interdiction temporaire de travail pendant 5 jours, il a révélé d'emblée
avoir déposé une plainte à la gendarmerie de Mbao.
''Il m'a loué une
chambre à 20 000 f à la citée Poste, au croisement Keur Massar. Avant la fin du
mois, je lui ai fait part de la baisse. Il m'a répondu que ce n'est pas son
problème'', a raconté M. Ndiaye. Devant ce refus catégorique, le sieur Ndiaye a
décidé de partir. Il est allé voir une agence, dans le but de trouver une chambre
dans ce sens. Toutefois, a-t-il raconté, son bailleur Mamadou Lamine Diop l'a
trouvé mercredi dans sa chambre et lui a demandé de quitter les lieux. ''Il m'a
sommé de quitter la chambre vers 22h.
Il était accompagné de sa femme. Avant que je ne réagisse, il m'a donné un coup''. Il a révélé avoir appelé le numéro vert, mais il n'a pas obtenu de réponse. ''La ligne ne passe pas'', a informé Alpha Ousmane Ndiaye.
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