
Lors du séminaire de la Cour d’appel de Dakar sur la réforme du Code de justice militaire, il a été question de la suppression des ordres de poursuites. Le plaidoyer du substitut général Madiaw Diaw est clair : restituer au procureur de la République ses prérogatives dans la direction de l’enquête !
Dix-huit ans après l’entrée en vigueur du Code de justice militaire, les acteurs de la justice posent les premiers jalons d’une démarche allant vers sa révision. Autrement dit, il s’agit de procéder à son étude critique dans ses phases de poursuite, d’instruction et de jugement des délits et crimes militaires. Le séminaire d’hier, tenu au Palais de justice de Dakar sur le thème «Faut-il réformer le code de justice militaire» a été le cadre ayant servi de réflexion aux acteurs de la justice. En fait, la réforme souhaitée concerne la loi 94-44 du 27 mai 1994. Le constat est que l’article 1 du Code de justice dispose que la justice militaire est rendue sous le contrôle de la Cour suprême, en temps de paix comme en temps de guerre, par les juridictions ordinaires à formation spéciale. Le combat des pensionnaires du Temple de Thémis est le suivant : la justice militaire ne doit pas rester aux mains des autorités militaires et assimilées. «Il existe une omniprésence de l’autorité exécutive dans toutes les phases. Beaucoup de phases de ce Code de justice militaire donnent plus de pouvoir à l’autorité militaire. Alors que l’article 1 du Code dit que la justice militaire est rendue en temps de paix comme en temps de guerre sous le contrôle de la Cour suprême.
Or, dans beaucoup de ces phases, on note une absence totale de celle-ci, surtout lorsque intervient la phase importante de l’exécution de l’arrêt de condamnation en matière criminelle», plaide le magistrat Madiaw Diaw, substitut général près la Cour d’appel de Dakar. Il va plus loin dans son plaidoyer lorsqu’il soutient que «l’article 44 de ladite loi dispose que le ministre des Forces armées procède ou fait procéder à tous les actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions relevant de la compétence des juridictions ordinaires à formation spéciale». Selon lui, «il résulte de l’article 46 du même code que les officiers militaires enquêteurs sont tenus à l’égard de leur tutelle des obligations prévues à l’article 18 du code de procédure pénale. La direction de l’enquête est véritablement assurée par cette autorité et c’est à elle aussi que la procédure est transmise après enquête».
Restituer au procureur de la République ses prérogatives
La solution est toute trouvée par cet acteur de la justice pour qui «il appartient à cette autorité destinataire d’envoyer les procès-verbaux, pièces et documents au procureur général près la Cour d’appel de Dakar et au procureur de la République compétent devant qui le mis en cause est conduit en cas d’arrestation». Le pensionnaire de la Cour d’appel de Dakar relève ainsi un paradoxe : «Le procureur de la République, pourtant directeur de la police judiciaire dans son ressort, hérite pour la première fois de procès-verbaux et annexes établis hors de son contrôle avant de saisir le juge d’instruction.» La suppression des ordres de poursuites qui est au cœur des attentes est d’autant plus d’actualité que le substitut général de la Cour d’appel de Dakar, Madiaw Diaw, demeure convaincu qu’«il importe de restituer au procureur de la République ses prérogatives dans la direction de l’enquête en plaçant sous son autorité les officiers militaires enquêteurs même désignés par le ministre des Forces armées ou assimilés. Une telle réforme aura le mérite de mettre le procureur de la République mieux à même de défendre la procédure surtout en matière criminelle où des cas de nullité sont souvent soulevés». En dernière analyse, le magistrat plaidera pour le maintien du rôle de la Chambre d’accusation comme seconde chambre d’instruction en matière de crime militaire.
DEMBA KANDJI (PREMIER PRESIDENT DE LA COUR D’APPEL DE DAKAR) : «Régler définitivement les procédures impliquant les militaires»
«L’intérêt de cette réflexion autour du Code de justice militaire est qu’elle permettra de régler définitivement les procédures judiciaires impliquant les militaires et paramilitaires». C’est la remarque faite par le Premier président de la Cour d’appel de Dakar. C’était hier à l’ouverture du séminaire sur le thème «Faut-il réformer le code de justice militaire» tenu au palais de justice de Dakar. En parlant de corps militaires, Demba Kandji fait allusion à la Gendarmerie, au Groupement national des sapeurs-pompiers (Gnsp) et à l’Armée nationale. Il entend par corps paramilitaires la Douane, l’Administration pénitentiaire, le Service national de l’hygiène, le service national des parcs nationaux (agents des eaux et forêts), entre autres. C’est en 1994 que le Sénégal, à la suite de plusieurs années de réflexion à travers une commission composée des différentes parties concernées, a adopté le Code de justice militaire par la loi 94-44 du 27 mai 1994. En ses articles 106 à 184, il traite des crimes et délits typiquement militaires que sont la désertion (abandon volontaire de poste), l’insoumission, la désertion en temps de paix à l'intérieur du territoire national, les infractions commises à l'intérieur des casernes, etc.
Les réformes au cœur des attentes
En marge du séminaire portant réflexion sur la réforme du Code de justice militaire, les doléances sont unanimes chez les hommes en uniforme. Ils veulent la révision du Code de justice militaire sur la base duquel les corps assermentés sont jugés. Ce, à travers la suppression de la radiation à l’encontre des justiciables militaires, l'instauration de voies de recours en cas de condamnation ainsi que la fréquence et la décentralisation du tribunal militaire. Pour ce qui est de la possibilité de recours en cas de condamnation, la législation en vigueur n'offre pas aux condamnés du tribunal et de la Cour d'assises militaires la possibilité d'interjeter appel. L’autre réforme en attente est la suppression de la radiation en cas de condamnation égale à trois mois, avec ou sans sursis. Tertio, la décentralisation du tribunal militaire. De toutes les 14 régions du Sénégal, seule Dakar abrite une audience du tribunal militaire. Cela signifie que même pour des infractions commises dans les zones les plus reculées du pays, les parties sont obligées de faire le déplacement sur la capitale pour les besoins de leur procès. La fréquence des audiences du tribunal militaire qui ne siège que le dernier vendredi de chaque mois pour désengorger les rôles ainsi que la création d'un parquet militaire sont, entre autres, les réformes proposées.
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