
Face à la mairie de Villers-Cotterêts – ravie par le FN aux dernières municipales –, un café grouille des personnes venues s'abriter de la pluie et du froid. Il y a du monde aujourd'hui dans cette ville de l'Aisne. Plus que les autres jours et davantage que les précédents 10-mai. Comme Bruno, debout sous le store du bistrot, il sont nombreux à venir pour la première fois commémorer l'abolition de l'esclavage, organisée ici depuis 2007.
C'est que la journée de commémoration de l'esclavage et de son abolition a pris une toute autre dimension depuis que le nouveau maire, le frontiste Franck Briffaut, a décidé de ne plus la célébrer. Elle résonne pour lui comme « une autoculpabilisation permanente ». L'argument ne convainc pas Bruno qui craint pour l'avenir : « Si on lâche un petit bout par-ci, un petit bout par-là, arrive un moment où on va droit dans le mur ». C'est pour cela qu'il s'est déplacé, pour faire entendre que la décision du maire est importante : « refuser de commémorer l'abolition de l'esclavage, c'est renier un devoir de mémoire et une grosse partie de l'histoire ».
Importante et aussi symbolique, dans cette ville où est mort et enterré le général Dumas, père de l'écrivain Alexandre, né esclave à Saint-Domingue. Raison pour laquelle la préfecture désignait Villers-Cotterêts jusqu'ici pour organiser cette commémoration qui doit avoir lieu dans chaque département et dans les lieux de mémoire (décret de 2006). Laon en a hérité cette année.
Mais à l'appel d'associations, notamment celle des Amis du Général Alexandre Dumas, une cérémonie a aussi eu lieu à Villers-Cotterêts. Devant 300 personnes agitant des drapeaux et des parapluies, son président Claude Ribbe a déclaré : « Briffaut s'est déshonoré […] et son parti aussi en ne le désavouant pas. […]La commémoration de l'abolition de l'esclavage est nécessaire parce qu'elle nous oblige à revenir aux origines du racisme ». En lançant : « Nous reviendrons tous les 10 mai à 11 heures », il a laissé la parole aux autres associations.
DES « COMITÉS DE VIGILANCE » DANS LES VILLES FN
« C'est la République qu'on honore le 10 mai, cet élu FN montre qu'il n'est pas un élu de la République », a clamé le président du Crefom (Conseil représentatif des Français d'Outre-Mer), Patrick Karam. Le vice-président de SOS Racisme Ibrahim Sorel-Keita, a quant à lui informé que son association mettait en place des « comités de vigilance » dans les onze villes dirigées par un maire FN.
Le président de la République lui-même a déploré la décision de la municipalité. La ville, a-t-il dit, « devrait s'honorer » de commémorer l'abolition de l'esclavage. « Villers-Cotterêts peut être fière d'être une ville où le Général Dumas, qui fut esclave puis Général, a pu montrer combien la France pouvait être éclatante », a poursuivi le chef de l'Etat.
« J'ai tenu à ce que la ministre des Outre-mer, George Pau-Langevin se rende à Villers-Cotterêts pour commémorer ce grand homme, alors que certains voulaient installer l'indifférence », a pour sa part déclaré le premier ministre, Manuel Valls. Mme Pau-Langevin s'est en effet rendue sur place ; elle a souligné, dans un communiqué que «l'histoire de l'esclavage n'est pas seulement l'histoire des descendants d'esclaves. La République ne connaît qu'une histoire, celle de tous ses citoyens ».
Arborant une écharpe aux couleurs de l'Europe, la tête de liste EELV pour la région Nord-Ouest Karima Delli promet à ce compte : « Nous ne reculerons jamais sur les questions de droits de l'homme, de mémoire collective ou juste de liberté. » Elle était accompagnée de Pascal Durand, son homologue pour la région Ile-de-France, qui a souligné : « C'est à nous d'être vigilants ». Le maire sortant de Villers-Cotterêts, Jean-Claude Pruski, a illustré : « Aujourd'hui on s'attaque aux commémorations de l'abolition de l'esclavage, demain à celles de la Shoah ». Des syndicats sont quant à eux venus dénoncer « la suppression des subventions accordées à la CGT et à la FCPE ».
« UNE MANIFESTATION POLITIQUE, FOURRE-TOUT »
Ces discours ont eu lieu devant la plaque qui commémore le général Dumas, à quelques pas de la mairie où, au moment de la dispersion, on pouvait entendre le slogan : « A bas le Front National. F comme fasciste, N comme nazi ». Interrogé par l'AFP, le maire a réagi à cette cérémonie : « C'est une manifestation politique, fourre-tout ».
Dans les rues détrempées, peu de voix discordantes se sont fait entendre ce samedi matin, dans une ville qui a élu le Front National. « Une mesure complètement débile » pour Marie- Ange, « dégoûtante » selon Valentin. Mais d'autres sont plus nuancées : « Les idées du maire, elles sont à respecter, expliquent Micheline et Bernard, puisque lui n'empêche pas les gens de célébrer la cérémonie ». Philippe aussi relativise : « Que l'esclavage soit aboli c'est une bonne chose, après qu'on le fête ou pas… Il y a aussi plein d'autres causes que l'ont pourrait commémorer. Combien de communes ne célèbrent plus le 8 mai ? »
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