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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Entretien

[GANOU SENEWEB] Mamadou DIOP Decroix, Secrétaire Général AJ/Pads, Député: «En 2012 les Sénégalais ont été grugés sur la marchandise... il s’agissait de pacotille»

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[GANOU SENEWEB] Mamadou DIOP Decroix, Secrétaire Général AJ/Pads, Député: «En 2012 les Sénégalais ont été grugés sur la marchandise... il s’agissait de pacotille»

Ecouter Mamadou Diop Decroix faire la situation du pays revient à presque désespérer pour le Sénégal sous Macky Sall. Selon le Secrétaire général de AJ/Pads, il manque à ce dernier un élément essentiel dans la gestion d’un Etat : une vision. Suffisant pour que l’ancien ministre d'Etat, député dans la législature actuelle, appelle l’opposition à se remobiliser dans un « vaste front uni ». Ce, pour servir d’alternative valable quand le peuple n’en pourra plus, afin d’éviter les solutions extrêmes. Decroix n’a pas omis de parler de la vie de son parti, de ses relations avec son grand frère Landing Savané et des péripéties de leur séparation.

 


SENEWEB : Dans une récente contribution vous fustigez le manque d’eau dont ont souffert durant de longs jours les populations. C’est pour vous la parfaite illustration d’une carence du pouvoir ?


Mamadou DIOP Decroix : Tout à fait ! La situation actuelle du pays nécessite que l’on en parle parce qu’un pays ne se gère pas dans l'amateurisme. Il faut du savoir-faire, de la détermination et de  la concentration, sans oublier la vertu dans la conduite des  affaires.  L’eau arrive du lac de Guiers, en cas de problème avec un ennemi, intérieur ou extérieur, il est facile pour ce dernier de nous nuire car la protection et la sécurité n’y sont pas de rigueur. Idem pour les canalisations. En un temps très court donc, tout Dakar et ses quelques 3 millions d’habitants peuvent être privés d’eau pour une large part. J'admets que les régimes antérieurs, y compris celui de Wade où Macky Sall était Premier Ministre ont, chacun, sa part de responsabilité dans cette situation.


Pour vous donc, le problème de l’eau va au-delà des simples pannes techniques évoquées ?


C’est bien plus grave en effet. La gestion d’un pays oblige à tenir compte de tous les paramètres parce que l’eau est le problème de sécurité nationale N°1. L'absence de sécurité à la source peut pousser quelqu’un à venir y mettre du poison, la bombarder... Bref, tout peut arriver. Parallèlement à ce manque d’eau, il y a les inondations qui avaient mobilisé l’année dernière beaucoup de monde notamment pour du fund raising. A Touba par exemple, le khalife général avait donné 1 milliard Cfa, de même que des téléthons ont été organisés un peu partout. Je n’ai pas, depuis, entendu faire un bilan des montants mobilisés ou de ce qui a été fait avec. L’impression est que tout est passé sous silence.


Tout de même, de nouveaux programmes ont été quand même initiés cette année avec des canalisations et le projet « Fendi » annoncé par le Premier ministre.


Dommage ! La démarche du régime de Macky Sall est de se servir des projets comme somnifère pour mieux endormir le peuple. C’est comme cela que ça risque de se passer durant les 5 ans de son mandat, et même par la suite si Macky est reconduit d’autant plus que beaucoup de Sénégalais semblent encore se complaire dans cette situation de somnolence.  Un exemple : l’année dernière le président avait annoncé la création de 3000 à 4000 logements au Plan Jaxaay pour juillet 2013 pour ne réceptionner en août dernier que 400 logement soit le dixième dont un certain nombre, selon mes informations, ne sont même pas en bon état. Mais quand il annonçait les 4000 logements, la promesse a fonctionné comme un somnifère. On applaudit, on espère et on attend. Pareil sur la question de l’emploi où le président avait annoncé 500.000 emplois pour 7 ans soit 70.000 emplois/an, avant de revenir à 30.000/an en décembre  dernier, et de rétrograder encore à 5.000 avec les recrutements du ministère de la Fonction Publique et tout ça pas encore palpable.  Entre temps, le Conseil national du patronat a révélé la fermeture l’année dernière de 380 entreprises. Faites le compte !

 


« La démarche du régime de Macky Sall est de servir des projets comme somnifère au peuple, pour mieux l’endormir  »

 


En plus de ne pas créer les emplois annoncés, on en fait perdre.


C’est une question préoccupante. La question des inondations par exemple ne peut être résolue qu’avec une bonne vision. Dakar représente 0,3% de la superficie du territoire national mais accueille 25% de la population du pays. 60 % des richesses y sont produites et 80% des activités économiques. Le Sénégal est atteint de macrocéphalie (développement monstrueux de la tête). Je n’en connais pas d’autres exemples au monde. Et pourtant chaque année, 200.000 nouvelles personnes s’ajoutent à la population de Dakar. C’est très grave parce que des capitales comme Bamako, Abidjan, Ouagadougou, Niamey...  peuvent s’étendre à souhait à l’opposé de Dakar entourée par la mer. C’est à l’image d’un œuf qu’on remplit sans arrêt. Dakar est aujourd’hui un véritable problème de sécurité pour le Sénégal. On n'ose même pas imaginer les dégâts qu’auraient causé certaines catastrophes. La question doit être prioritaire pour tout dirigeant de ce pays, sinon ce serait manquer de vision.


L’Acte III de la Décentralisation pourrait peut-être apporter des solutions.


Ce ne sera pas le cas. Là on parle d’institutions alors que le problème est économique et touche à l’aménagement du territoire. Nous avons réfléchi sur la réforme de l’Etat et parlons de révolution républicaine parce que le mode de fonctionnement de l'Etat a été hérité du système colonial. Sans une bonne vision, la décentralisation ne produira aucun changement. La preuve si on parle d’Acte III, c’est qu’il y en a eu deux auparavant...


Et qui n’ont pas donné les effets attendus ?


Cela n’a pas marché parce que des responsables des Collectivités Locales fonctionnement comme les tenants du pouvoir central, agissant en véritables monarques spoliant les terres d’autrui. Combien de fois a-t-on fait état d’arrestations de responsables locaux pour des faits pareils ? J’ai donné l’exemple de Dakar dont le problème ne peut être réglé qu’avec une bonne politique d’aménagement du territoire parce que beaucoup de gens s’y sont retrouvées malgré eux. Si on leur propose une meilleure vie ailleurs ou dans leurs localités d’origine, ils seront nombreux à partir. Les inondations sont liées à ce que je viens de dire. L’autoroute réalisée par Wade a permis à beaucoup de gens de rentrer chez eux, à Thiès, Mbour, Tivaouane ou ailleurs. L’extension de ce type d'infrastructures peut faire partir des centaines de milliers de personnes de Dakar et trouver une solution finale aux inondations parce que le prix du loyer va chuter et les gens vont quitter les zones inondables pour celles plus clémentes. Et, à ce moment, les eaux qui hantent aujourd'hui notre sommeil seront la bienvenue car elles serviront à améliorer l'existence des populations dans divers domaines : agricoles ou autre.

Gérer un pays requiert la délicatesse de celui qui doit dépecer un animal. si on en est incapable on gâche à la fois et la peau et  la viande.

 


« Gérer un pays requiert la délicatesse de celui qui doit dépecer un animal. si on en est incapable on gâche à la fois et la peau et la viande ».

 


En tant qu’ancien ministre à la tête de plusieurs départements sous Wade, vous avez cheminé avec le président actuel. Que pensez-vous être son problème ?


La vision. C’est son principal problème. J’en suis véritablement surpris parce que je connais bien Macky. On a travaillé ensemble dans le gouvernement et il était un bon Premier ministre. Et partant de là, on pouvait nourrir de l’espoir. Seulement, un Premier ministre applique des directives d’un président. Ce sont deux choses différentes.


Etre avec un bon président peut aussi être l’opportunité d’apprendre.


Tout à fait, mais je pense qu’il a plutôt bien appris à être un bon Premier ministre, mais président (il ne termine pas sa phrase). A ce niveau, c’est une question de vision, il faut d’abord connaître le Sénégal, connaître  ses problèmes, identifier les pistes de solutions et les démarches pour y arriver. Rien de tout cela n’est a priori facile. J’ai dit souvent, pendant la campagne présidentielle, que Macky ne s’est pas préparé à la gestion du pouvoir. Il en est déjà à son troisième Directeur de cabinet, c’est extraordinaire. Comme le commandant de bord en tant que patron dans l'avion qui est assisté par plusieurs copilotes, dans la gestion de l’Etat aussi le président se repose sur des socles que sont, entre autres, son Directeur de cabinet, ses ministres de l’Intérieur, des Finances, de l’Agriculture... Et tous les occupants de ces postes, le président les a changés, certains à plusieurs reprises. Et tout cela en moins de deux ans. On peut donc bien dire que le président tâtonne et on ne l’avait pas élu pour cela parce que, le Sénégal et l’Afrique sont trop en retard. On doit donc accélérer le rythme mais malheureusement, ils ne savent pas par où passer.


On a pensé également que l’expérience avérée de la gestion de l’Etat de la plupart des leaders de la Coalition Benno qui accompagne le président pouvait être déterminante.


Ça ne peut être le cas. Nous n’avons pas au Sénégal un problème de ressources humaines diaspora comprise, même s’il en faut toujours plus mais, si on ne sait pas les utiliser cela ne sert à rien. J’aime bien personnellement le football mais je ne sais pas comment opérer un classement.

 


« Le problème de Benno est qu’elle n’a pas pu trouver les bonnes synthèses entre les Assises et Yonu Yokkuté »

 


Le principal blocage se trouve donc, selon vous, au niveau du président ?


Tout part et revient à lui. Le problème principal de Benno Bokk Yakaar est que cette Coalition n’a pas su trouver les bonnes synthèses entre le programme des Assises, défendu par la plupart des membres, et Yonu Yokkuté du président Macky Sall. D'ailleurs elle ne l'a même pas cherchée, cette fameuse synthèse car depuis l’élection, ces leaders ne sont pas réunis pour harmoniser leurs approches.


C’est ce manque de concertations que dénonçait Rewmi avant de quitter.


C’est pourquoi, les choses ne bougeront pas.


A votre avis il y a donc un choc de programmes et une mauvaise volonté des leaders à contribuer à faire réussir Macky Sall ?


Je ne parlerais pas de mauvaise volonté parce que tous me semblent vouloir que le Sénégal avance. Ils disent tous vouloir que le Sénégal émerge mais le souhaiter sans savoir comment s'y prendre ne changera rien. Il leur aurait fallu combiner et synthétiser les différents programmes pour en tirer le meilleur mais ils ne le feront pas, parce que les postes leur importent plus. Remarquez par exemple la revendication des leaders de Macky 2012 qui demandent à rompre avec les autres pour pouvoir occuper les postes laissés vacants. Une véritable logique de partage en lieu et place d'un effort soutenu de prise en charge des enjeux réels comme l’agriculture...


Le récent changement de Premier ministre et de gouvernement ne vous semble pas non plus en mesure de changer des choses ?


Cela ne changera pas l'essentiel. Les nombreux changements de postes notés indiquent qu’on ne gère  pas bien les ressources humaines. Je connais bien Mimi Touré, elle est compétente mais on n’ira nulle part (il se répète).


Direz-vous, comme votre ancien collègue ancien ministre Serigne Mbacké Ndiaye, qu’à la fin de son mandat, Macky risque de n’avoir comme bilan à présenter que la Traque des biens supposés mal acquis ?


C’est fort possible. Macky Sall a tout obtenu par l’entremise de Wade. Entre temps il y a eu des divergences entre eux et j’avais donné mon opinion sur la question à l’époque. Si malgré tous les obstacles, Dieu réalise vos objectifs, vous devez ensuite avoir le sens du dépassement. A son retour d’exil, Serigne Touba a décrété son pardon pour tout le monde, y compris le colon qui l’avait exilé, entre autres épreuves. Cela me semble important. Demander des comptes à des personnes qui ont géré les biens publics, auditer la gestion d’anciens tenants du pouvoir est chose normale mais laisser l’impression d’une vengeance aurait du être évité. Le président Abdou Diouf avait lancé cette la loi sur l’enrichissement illicite à son arrivée en 1981 avant de l’abandonner très vite. Mais les conséquences l’ont poursuivi pendant dix ans. Bécaye Sène et Gassama ont été arrêtés mais d’argent, on n’en avait pas récupéré. Lors du conseil national du Ps en juin 90-91, Abdou Diouf a dit, du haut du présidium, « camarades, je sais que l’argent que vous avez gardé à l’étranger n’a pas été détourné mais ramenez-le ».


Ici aussi, même en abandonnant la traque, ce qui ne devrait pas tarder, Macky Sall ne verra pas de si tôt de l’argent  investi  dans le pays.


Le président Macky Sall perd donc du temps pour rien ?


Je ne parle pas de l’argent supposé détourné par des anciens tenants du régime. Je veux dire que tous ceux qui souhaitaient venir investir au Sénégal vont renoncer pour aller ailleurs. J’aurais souhaité que beaucoup d’argent arrivât chez nous, mais ce sera difficile. Pour le reste, Macky a fait du chemin avec les personnes concernées par la traque. Beaucoup de chemin ! Karim Wade par exemple s’est emmuré dans un silence assourdissant mais vous pensez qu’il ne sait rien de ce qui s’est passé ? Je pense qu’il en sait beaucoup. Vieux Aïdara, l’ancien patron de la chaine Canal Infos, a dit sur un site que dans le compte attribué à Karim Wade à Monaco, Macky Sall a puisé 4 milliards entre 2004 et 2007.

 


« A la place de Macky, j’aurais ordonné la dissolution de la CREI »

 


Le président a lui-même révélé avoir bénéficié des privilèges du régime.


Voilà (il se répète). Il l’a dit à des journalistes américains, en arguant qu’il a occupé dans le régime des places qui lui conféraient des privilèges. Si le Premier ministre peut avoir 4 milliards, le ministre peut se retrouver lui aussi avec un peu, étant donné ses responsabilités. Non ! C’est un problème sérieux. A sa place, j’aurais ordonné la dissolution de la CREI, en continuant, s 'il y a lieu, les enquêtes et procédures avec les tribunaux normaux existant déjà. Regardez ce que fait le Procureur Ndao qui, après des mois de mise en demeure sans trouver des preuves, décrète une seconde initiative portant sur des faits déjà reprochés à Karim. Tout ça dégage une nette volonté de régler des comptes personnels comme, au demeurant, Macky en avait  clairement pris l'engagement en son temps. Mais, pour faire court, ça ne prospère pas dans un pays comme le Sénégal, de même que l’auteur d’une telle pratique n’en sortira pas indemne.


Avez-vous été surpris par les procédures enclenchées contre ces responsables avec qui vous avez été dans un même régime ?


Pour ne rien vous cacher,  mon rapport aux biens matériels a toujours été singulier. Du point de vue de la dignité et de la considération de la personne humaine, je ne regarde pas différemment  un milliardaire et celui qui  peine à trouver son repas de midi. Ceux qui me connaissent peuvent en témoigner. Je  pars de l'idée que les autres fonctionnent selon le même principe que  moi. Je ne me mettais donc pas à imaginer que  Moussa Ndiaye ou Jean ou Paul étaient en train de dilapider les ressources ou non. Et aujourd’hui sans preuves, je ne peux croire les accusations portées contre ceux qui sont  incarcérés parce que la présomption d’innocence existe. Si on était dans une procédure judiciaire normale, il n'y aurait pas eu tout ce tollé mais plus on avance, plus la vérité d'une vengeance qui se déchaîne s'impose. Et moi, je ne partagerai jamais cette façon de faire.

 

Comment votre parti se positionne-t-il dans l’opposition ?


Avec aisance ! Parce que nous connaissons l’opposition. J’ai dirigé ma première grève à l’âge de 18 ans, sans être encore militant d’un parti politique. J’étais encore  un simple contestataire. Je suis entré en politique à 23 ans, avec AJ du temps de la clandestinité. Jusqu’en 2000, cela fait 27 ans d’opposition. Je n’ai jamais regardé le palais en passant par l’avenue Roume (devenue Léopold Sédar Senghor), je détournais toujours les yeux pour mieux contester. J’ai accompagné Wade pendant les 12 ans de son régime mais, quand on parle de lui je suis fier. Il a réalisé des choses que n’ont pas faites ses prédécesseurs. J’en suis ravi. Quant à son successeur, en moins de deux ans de gouvernance, tout le monde convient qu'il ne fait pas avancer le pays pour l'instant, hélas!


En termes de responsabilités, vous êtes maintenant député à l’Assemblée.


J’ai été député en 1998 avant d’être ministre, en 2000. J’ai une petite expérience de l’Assemblée

 


« En 2012 les Sénégalais ont été grugés sur la marchandise. Après, on s’est rendu compte qu’il s’agissait de pacotille »

 


En quoi la législature actuelle est différente des autres ?


Il n’y a pas trop de différences ; même les députés membres de la Coalition au pouvoir en conviennent et ceux que je connais veulent que ce soit différent. Le président Niasse lui-même est animé de cette volonté. Il ne suffit cependant pas d’avoir la volonté pour que le changement se produise. même Macky veut que le pays ne soit plus…."Macky" mais le gap avec le concret est énorme. Je suis quand même content de la traduction simultanée qui va être introduite à l'Assemblée nationale. Je me bats sur cette question depuis 1999 lorsque j'ai introduit une proposition de loi pour que les députés  ne comprenant pas français puissent s’exprimer dans leurs langues maternelles tout en se faisant comprendre de leurs collègues grâce à la traduction simultanée.  Cela leur permettra d’exprimer mieux que quiconque leurs ambitions. Même en tant que ministre chargé des Relations avec les Institutions, j’en avais discuté avec Bruxelles. Je suis ravi d’apprendre que les présidents Macky Sall et Moustapha Niasse sont déterminés à réaliser le plus rapidement ce projet.


Ce sera une véritable avancée pour le fonctionnement de l’Assemblée ?


Tout à fait. Et je leur en saurais gré.


Parlons pour finir du départ d’Idrissa Seck de Benno qui va certainement être un renfort de taille pour l’opposition.


Incontestablement ! On peut aimer ou ne pas aimer Idrissa mais, ce n’est pas n’importe qui. Je l’accueille les bras ouverts et en profite pour dire à ceux de l’opposition convaincus de la nécessité de mener bataille pour faire partir les tenants actuels du pouvoir de faire preuve de beaucoup de dépassement. La saison des ego surdimensionnés est passée de mode. J’ai entendu des militants d’un parti dire que Idrissa Seck doit venir se ranger derrière leur leader; ce genre de discours est porté soit  par des gens à l'expérience politique limitée soit alors, si tel n'est pas le cas, par des  gens qui sont au service Macky Sall (catégorique). Et ce leader, connu pour son sens de la mesure, ne parlerait ni n'agirait comme cela. Je le dis fermement, retenez le : Les espoirs placés dans le pouvoir actuel s’amenuisent et le peuple ne continuera pas à endurer ce qu'il endure par les temps qui courent.  Il ne va pas continuer à croiser les bras alors qu'il  n'a pas à manger ni à boire. Ça ne se produira pas. Par conséquent, l'absence d'une opposition forte et crédible ouvrirait la voie à des  alternatives qui ne seront  pas des plus joyeuses.


Vous pensez à l’Armée ?


Je ne le souhaite pas parce qu'auparavant bien des catastrophes et des dégât se seront déjà produits. Les leaders politiques de l'Opposition doivent tenir leur rang, être à la hauteur des exigences de la période. Et y convier tous leurs militants et leurs responsables. J’appelle l’opposition à se mobiliser pour  un vaste front uni contre ce qui se passe, en s'acceptant, en tolérant nos différences sur les aspects qui ne sont pas de principe. En même temps, il nous faudra tirer les enseignements des expériences précédentes parce qu’en 2012 les Sénégalais ont été grugés sur la marchandise. Les populations étant fatiguées, on leur a fait miroiter des solutions aux questions de l’emploi, de la cherté de la vie, des inondations, des coupures d’électricité, etc. Après, on s’est rendu compte que la marchandise était de la pacotille. L’opposition ne peut pas leur proposer la même chose. Oui Idrissa Seck est venu me rendre visite. Je ne dirai pas ce qu'on s'est dit. Je retiens simplement qu'il a été cohérent dans la démarche. Il avait d'abord indiqué que le pays ne marchait pas.  Plus tard, il en a tiré les conséquences après avoir noté que des actes forts de redressement n'avaient pas été posés. S'il n'avait pas quitté l'attelage, sa démarche aurait été incompréhensible ou aurait porté à confusion. Il a été donc conséquent.

A présent, tous les leaders de l'opposition conséquente doivent se retrouver. Qu'il s'agisse, par ordre alphabétique, de Abdoulaye  Baldé, de Pape Diop, de Sitor Ndour, de Oumar Sarr ou encore de Idrissa Seck et de tous les autres, je leur dis :  l'Heure est grave. Le peuple Sénégalais exige l'unité et nous devons nous retrouver en tirant les leçons des expériences antérieures pour être forts parce que crédibles.

 

Parlons maintenant de votre parti AJ, ou plus exactement de la frange que vous dirigez.


Cette façon de présenter le problème ne m’agrée pas mais, je n’y peux rien. On est dans un pays où le respect des décisions de justice, y compris de respect de la légalité n'est pas la chose la mieux partagée.  Un parti a des statuts et un règlement intérieur, en somme une constitution mais en Afrique, le leader gère généralement le parti comme s'il en était le propriétaire. On parle du « parti de X » (comme si les autres membres n'étaient pas des  "nawlé" c'est à dire des paires, mais des moutons, des chèvres et des vaches, en tout cas des êtres inférieurs). Vous agissez selon vos désirs et excluez tous ceux qui pensent autrement à moins qu'ils ne quittent d'eux-mêmes pour aller créer un autre parti (d'où d'ailleurs le foisonnement des partis politiques). Comment voulez-vous que quelqu'un qui est habitué à tordre le cou aux règles établies à l'intérieur de son parti du simple fait qu'il en est le chef, puisse s'abstenir de tordre le cou à la constitution et aux lois du pays une fois à la tête de celui-ci ? C'est pourquoi, parmi les réformes arrivées à maturité, celle des partis politiques, notamment de leur régime intérieur, pour en faire des espaces réellement démocratiques, devrait figurer en bonne place.


A AJ, nous avons mis en place des textes anticipant sur ces types de situations notamment les cas où les dirigeants décident de confisquer la souveraineté du parti pour n'en faire qu'à leur guise. C'est ainsi que si par exemple les leaders ne convoquent pas de congrès et que les ¾ des fédérations le décident, le congrès se tient de plein droit quelque soit l'avis du Secrétaire général. De même les droits de la minorité sont garantis par nos textes. Par exemple, dans le parti, aucune structure n 'a le droit d'exclure un de ses membres. Au plus, on peut le suspendre avant de s’en ouvrir à l'échelon supérieur pour statuer sur le cas, après enquête. Moi, j'ai été élu Secrétaire Général Adjoint du parti par un congrès de 1500 délégués en 2005  alors qu’on a voulu m’exclure dans un bureau politique de 43 présents en 2009, dont la majorité a refusé de s'associer à la procédure au motif qu'elle est illégale selon les dispositions que je viens d'évoquer. Lorsque l'ancien Secrétaire Général a malgré tout opéré son forcing, le parti a immédiatement riposté en mettant en branle les textes que j'ai convoqués tantôt. Des 45 fédérations que compte le pays, les 38, soit plus des 3/4 (c'est à dire 34) requis par le règlement intérieur, se sont prononcés contre mon exclusion et exigé  la tenue d’un congrès extraordinaire pour remettre les pendules à l'heure. Et ce, à travers des résolutions signées par les militants à la base et transmises  aux préfets, aux  gouverneurs sur l'étendue du territoire  et au ministre de l’Intérieur. Après quoi, tous les secrétaires généraux des fédérations départementales signataires se sont retrouvés à Dakar avec leurs valises de documents et ont fait constater par huissier de justice tous les actes. Je signale que la plupart des secrétaires généraux présents étaient Sg  de leur département depuis que mon grand frère était patron du parti. Dans aucun de ces papiers remis au ministère de l’Intérieur vous ne verrez mon nom, parce que je n’y jouais aucun rôle n'étant pas secrétaire général de fédération.  Pour le congrès, mon grand frère et moi avons été convoqués au même titre mais lui décrétait l’exclusion de tous ceux qui seraient présents. D'après la presse, 17000 personnes étaient présentes à la séance d'ouverture le 13 juin 2009.  A la fin du congrès, au moment des candidatures, j'ai déposé ma candidature au poste de Secrétaire Général.  Bien qu’étant le seul candidat, j’ai préconisé le vote secret et cela a suscité un débat jusque tard.  Vers 2 heures du matin, un camarade nommé Gora Diallo de Diourbel a fait une motion pour demander le vote à main levée à la place du vote secret puisque les 2500  délégués étaient épuisés et que le vote et le dépouillement pourraient durer toute la nuit. La Motion a été acceptée par acclamation contre mon gré. Voilà la réalité des faits. Jusque là mon Grand frère était toujours le Secrétaire général et moi son second ;  mais après mon élection et la transmission des dossiers du congrès au ministère de l’Intérieur, et à l’issue d’enquêtes de ses services et de sa lettre réponse constatant que le congrès a été conforme à nos statuts et prenant acte de mon élection comme Secrétaire Général d'Aj/Pads, j’ai écrit à mon grand frère, en tant que nouveau Secrétaire Général du parti élu par le congrès pour que nous fassions la passation de service. C'est en ce moment qu'il a pris cette lettre pour m'attaquer devant le tribunal correctionnel pour usurpation de fonctions, faux et usage de faux.  Le tribunal  nous a donné raison. Il a fait appel du jugement et la Cour d’Appel l'a de nouveau condamné. Le ministère de l’Intérieur sous Wade avait donné raison au parti, le tribunal aussi, de même que le régime de Macky avec Mbaye Ndiaye ministre de l'Intérieur au moment des élections législatives. En effet,  j’ai déposé ma liste en tant qu'And-Jëf. Elle a été validée par la juridiction compétente après que le ministère de l’Intérieur a accepté de la recevoir. Wade n'était plus là mais l'Etat est toujours là pour certifier que les décisions du parti sont souveraines et que le parti n'est pas un objet ou troupeau de moutons que l'on peut arracher des mains de Moussa pour le remettre à MODOU. Aujourd’hui je suis député issu de la liste AJ à l'Assemblée nationale. Ce dossier est clos.


« Je n’ai jamais pensé que nous pourrions en arriver à une situation où Landing Savané demanderait mon exclusion d'Aj»


Quid de vos relations avec le « grand frère » Landing ?


Un peu triste. C’est mon grand frère (il se répète). Nous avons beaucoup vécu ensemble, depuis plus de 30 ans. Au lycée Van Vo déjà (aujourd’hui Lamine Guèye), j’étais en 5e et lui en Terminale. Il était brillant élève décrochant des prix d'excellence. Je le  connaissais et l'admirais. Nous nous sommes ensuite retrouvés dans la politique, mais voilà Satan est passé par là. Je n’ai jamais pensé que nous pourrions arriver à une situation où Landing demanderait mon exclusion du parti, ou que nos chemins se sépareraient. Plus tard, il a révélé avoir été averti, dix ans auparavant, d’un complot que je préparais contre lui, mais il disait attendre d’en avoir les preuves. Cela veut donc dire que pendant tout ce temps on parlait de moi sous un certain angle à mon insu.

Je voudrais quand même vous indiquer, pour terminer sur ce point que, tenant compte de cette douloureuse expérience que nous avons vécue, il est désormais inscrit dans nos statuts la double limitation des mandats du Secretaire Général pour éviter la patrimonialisation.  Premièrement le Secrétaire général élu par le congrès ne peut plus avoir plus de deux mandats à la tête du parti.  Deuxièmement, le mandat peut être inférieur mais  ne peut excéder cinq ans.

Entretien réalisé par SenewebNews



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