
Ecouter Mamadou Diop Decroix faire la situation du pays revient à presque désespérer pour le Sénégal sous Macky Sall. Selon le Secrétaire général de AJ/Pads, il manque à ce dernier un élément essentiel dans la gestion d’un Etat : une vision. Suffisant pour que l’ancien ministre d'Etat, député dans la législature actuelle, appelle l’opposition à se remobiliser dans un « vaste front uni ». Ce, pour servir d’alternative valable quand le peuple n’en pourra plus, afin d’éviter les solutions extrêmes. Decroix n’a pas omis de parler de la vie de son parti, de ses relations avec son grand frère Landing Savané et des péripéties de leur séparation.
SENEWEB : Dans une récente contribution vous fustigez le manque d’eau
dont ont souffert durant de longs jours les populations. C’est pour vous
la parfaite illustration d’une carence du pouvoir ?
Mamadou DIOP Decroix : Tout à fait ! La situation actuelle du pays
nécessite que l’on en parle parce qu’un pays ne se gère pas dans
l'amateurisme. Il faut du savoir-faire, de la détermination et de la
concentration, sans oublier la vertu dans la conduite des affaires.
L’eau arrive du lac de Guiers, en cas de problème avec un ennemi,
intérieur ou extérieur, il est facile pour ce dernier de nous nuire car
la protection et la sécurité n’y sont pas de rigueur. Idem pour les
canalisations. En un temps très court donc, tout Dakar et ses quelques 3
millions d’habitants peuvent être privés d’eau pour une large part.
J'admets que les régimes antérieurs, y compris celui de Wade où Macky
Sall était Premier Ministre ont, chacun, sa part de responsabilité dans
cette situation.
Pour vous donc, le problème de l’eau va au-delà des simples pannes techniques évoquées ?
C’est bien plus grave en effet. La gestion d’un pays oblige à tenir
compte de tous les paramètres parce que l’eau est le problème de
sécurité nationale N°1. L'absence de sécurité à la source peut pousser
quelqu’un à venir y mettre du poison, la bombarder... Bref, tout peut
arriver. Parallèlement à ce manque d’eau, il y a les inondations qui
avaient mobilisé l’année dernière beaucoup de monde notamment pour du
fund raising. A Touba par exemple, le khalife général avait donné 1
milliard Cfa, de même que des téléthons ont été organisés un peu
partout. Je n’ai pas, depuis, entendu faire un bilan des montants
mobilisés ou de ce qui a été fait avec. L’impression est que tout est
passé sous silence.
Tout de même, de nouveaux programmes ont été quand même initiés cette
année avec des canalisations et le projet « Fendi » annoncé par le
Premier ministre.
Dommage ! La démarche du régime de Macky Sall est de se servir des
projets comme somnifère pour mieux endormir le peuple. C’est comme cela
que ça risque de se passer durant les 5 ans de son mandat, et même par
la suite si Macky est reconduit d’autant plus que beaucoup de Sénégalais
semblent encore se complaire dans cette situation de somnolence. Un
exemple : l’année dernière le président avait annoncé la création de
3000 à 4000 logements au Plan Jaxaay pour juillet 2013 pour ne
réceptionner en août dernier que 400 logement soit le dixième dont un
certain nombre, selon mes informations, ne sont même pas en bon état.
Mais quand il annonçait les 4000 logements, la promesse a fonctionné
comme un somnifère. On applaudit, on espère et on attend. Pareil sur la
question de l’emploi où le président avait annoncé 500.000 emplois pour 7
ans soit 70.000 emplois/an, avant de revenir à 30.000/an en décembre
dernier, et de rétrograder encore à 5.000 avec les recrutements du
ministère de la Fonction Publique et tout ça pas encore palpable. Entre
temps, le Conseil national du patronat a révélé la fermeture l’année
dernière de 380 entreprises. Faites le compte !
« La démarche du régime de Macky Sall est de servir des projets comme somnifère au peuple, pour mieux l’endormir »
En plus de ne pas créer les emplois annoncés, on en fait perdre.
C’est une question préoccupante. La question des inondations par exemple
ne peut être résolue qu’avec une bonne vision. Dakar représente 0,3% de
la superficie du territoire national mais accueille 25% de la
population du pays. 60 % des richesses y sont produites et 80% des
activités économiques. Le Sénégal est atteint de macrocéphalie
(développement monstrueux de la tête). Je n’en connais pas d’autres
exemples au monde. Et pourtant chaque année, 200.000 nouvelles personnes
s’ajoutent à la population de Dakar. C’est très grave parce que des
capitales comme Bamako, Abidjan, Ouagadougou, Niamey... peuvent
s’étendre à souhait à l’opposé de Dakar entourée par la mer. C’est à
l’image d’un œuf qu’on remplit sans arrêt. Dakar est aujourd’hui un
véritable problème de sécurité pour le Sénégal. On n'ose même pas
imaginer les dégâts qu’auraient causé certaines catastrophes. La
question doit être prioritaire pour tout dirigeant de ce pays, sinon ce
serait manquer de vision.
L’Acte III de la Décentralisation pourrait peut-être apporter des solutions.
Ce ne sera pas le cas. Là on parle d’institutions alors que le problème
est économique et touche à l’aménagement du territoire. Nous avons
réfléchi sur la réforme de l’Etat et parlons de révolution républicaine
parce que le mode de fonctionnement de l'Etat a été hérité du système
colonial. Sans une bonne vision, la décentralisation ne produira aucun
changement. La preuve si on parle d’Acte III, c’est qu’il y en a eu deux
auparavant...
Et qui n’ont pas donné les effets attendus ?
Cela n’a pas marché parce que des responsables des Collectivités Locales
fonctionnement comme les tenants du pouvoir central, agissant en
véritables monarques spoliant les terres d’autrui. Combien de fois
a-t-on fait état d’arrestations de responsables locaux pour des faits
pareils ? J’ai donné l’exemple de Dakar dont le problème ne peut être
réglé qu’avec une bonne politique d’aménagement du territoire parce que
beaucoup de gens s’y sont retrouvées malgré eux. Si on leur propose une
meilleure vie ailleurs ou dans leurs localités d’origine, ils seront
nombreux à partir. Les inondations sont liées à ce que je viens de dire.
L’autoroute réalisée par Wade a permis à beaucoup de gens de rentrer
chez eux, à Thiès, Mbour, Tivaouane ou ailleurs. L’extension de ce type
d'infrastructures peut faire partir des centaines de milliers de
personnes de Dakar et trouver une solution finale aux inondations parce
que le prix du loyer va chuter et les gens vont quitter les zones
inondables pour celles plus clémentes. Et, à ce moment, les eaux qui
hantent aujourd'hui notre sommeil seront la bienvenue car elles
serviront à améliorer l'existence des populations dans divers domaines :
agricoles ou autre.
Gérer un pays requiert la délicatesse de celui qui doit dépecer un animal. si on en est incapable on gâche à la fois et la peau et la viande.
« Gérer un pays requiert la délicatesse de celui qui doit dépecer un
animal. si on en est incapable on gâche à la fois et la peau et la
viande ».
En tant qu’ancien ministre à la tête de plusieurs départements sous
Wade, vous avez cheminé avec le président actuel. Que pensez-vous être
son problème ?
La vision. C’est son principal problème. J’en suis véritablement surpris
parce que je connais bien Macky. On a travaillé ensemble dans le
gouvernement et il était un bon Premier ministre. Et partant de là, on
pouvait nourrir de l’espoir. Seulement, un Premier ministre applique des
directives d’un président. Ce sont deux choses différentes.
Etre avec un bon président peut aussi être l’opportunité d’apprendre.
Tout à fait, mais je pense qu’il a plutôt bien appris à être un bon
Premier ministre, mais président (il ne termine pas sa phrase). A ce
niveau, c’est une question de vision, il faut d’abord connaître le
Sénégal, connaître ses problèmes, identifier les pistes de solutions et
les démarches pour y arriver. Rien de tout cela n’est a priori facile.
J’ai dit souvent, pendant la campagne présidentielle, que Macky ne s’est
pas préparé à la gestion du pouvoir. Il en est déjà à son troisième
Directeur de cabinet, c’est extraordinaire. Comme le commandant de bord
en tant que patron dans l'avion qui est assisté par plusieurs copilotes,
dans la gestion de l’Etat aussi le président se repose sur des socles
que sont, entre autres, son Directeur de cabinet, ses ministres de
l’Intérieur, des Finances, de l’Agriculture... Et tous les occupants de
ces postes, le président les a changés, certains à plusieurs reprises.
Et tout cela en moins de deux ans. On peut donc bien dire que le
président tâtonne et on ne l’avait pas élu pour cela parce que, le
Sénégal et l’Afrique sont trop en retard. On doit donc accélérer le
rythme mais malheureusement, ils ne savent pas par où passer.
On a pensé également que l’expérience avérée de la gestion de l’Etat de
la plupart des leaders de la Coalition Benno qui accompagne le président
pouvait être déterminante.
Ça ne peut être le cas. Nous n’avons pas au Sénégal un problème de
ressources humaines diaspora comprise, même s’il en faut toujours plus
mais, si on ne sait pas les utiliser cela ne sert à rien. J’aime bien
personnellement le football mais je ne sais pas comment opérer un
classement.
« Le problème de Benno est qu’elle n’a pas pu trouver les bonnes synthèses entre les Assises et Yonu Yokkuté »
Le principal blocage se trouve donc, selon vous, au niveau du président ?
Tout part et revient à lui. Le problème principal de Benno Bokk Yakaar
est que cette Coalition n’a pas su trouver les bonnes synthèses entre le
programme des Assises, défendu par la plupart des membres, et Yonu
Yokkuté du président Macky Sall. D'ailleurs elle ne l'a même pas
cherchée, cette fameuse synthèse car depuis l’élection, ces leaders ne
sont pas réunis pour harmoniser leurs approches.
C’est ce manque de concertations que dénonçait Rewmi avant de quitter.
C’est pourquoi, les choses ne bougeront pas.
A votre avis il y a donc un choc de programmes et une mauvaise volonté des leaders à contribuer à faire réussir Macky Sall ?
Je ne parlerais pas de mauvaise volonté parce que tous me semblent
vouloir que le Sénégal avance. Ils disent tous vouloir que le Sénégal
émerge mais le souhaiter sans savoir comment s'y prendre ne changera
rien. Il leur aurait fallu combiner et synthétiser les différents
programmes pour en tirer le meilleur mais ils ne le feront pas, parce
que les postes leur importent plus. Remarquez par exemple la
revendication des leaders de Macky 2012 qui demandent à rompre avec les
autres pour pouvoir occuper les postes laissés vacants. Une véritable
logique de partage en lieu et place d'un effort soutenu de prise en
charge des enjeux réels comme l’agriculture...
Le récent changement de Premier ministre et de gouvernement ne vous semble pas non plus en mesure de changer des choses ?
Cela ne changera pas l'essentiel. Les nombreux changements de postes
notés indiquent qu’on ne gère pas bien les ressources humaines. Je
connais bien Mimi Touré, elle est compétente mais on n’ira nulle part
(il se répète).
Direz-vous, comme votre ancien collègue ancien ministre Serigne Mbacké
Ndiaye, qu’à la fin de son mandat, Macky risque de n’avoir comme bilan à
présenter que la Traque des biens supposés mal acquis ?
C’est fort possible. Macky Sall a tout obtenu par l’entremise de Wade.
Entre temps il y a eu des divergences entre eux et j’avais donné mon
opinion sur la question à l’époque. Si malgré tous les obstacles, Dieu
réalise vos objectifs, vous devez ensuite avoir le sens du dépassement. A
son retour d’exil, Serigne Touba a décrété son pardon pour tout le
monde, y compris le colon qui l’avait exilé, entre autres épreuves. Cela
me semble important. Demander des comptes à des personnes qui ont géré
les biens publics, auditer la gestion d’anciens tenants du pouvoir est
chose normale mais laisser l’impression d’une vengeance aurait du être
évité. Le président Abdou Diouf avait lancé cette la loi sur
l’enrichissement illicite à son arrivée en 1981 avant de l’abandonner
très vite. Mais les conséquences l’ont poursuivi pendant dix ans. Bécaye
Sène et Gassama ont été arrêtés mais d’argent, on n’en avait pas
récupéré. Lors du conseil national du Ps en juin 90-91, Abdou Diouf a
dit, du haut du présidium, « camarades, je sais que l’argent que vous
avez gardé à l’étranger n’a pas été détourné mais ramenez-le ».
Ici aussi, même en abandonnant la traque, ce qui ne devrait pas tarder,
Macky Sall ne verra pas de si tôt de l’argent investi dans le pays.
Le président Macky Sall perd donc du temps pour rien ?
Je ne parle pas de l’argent supposé détourné par des anciens tenants du
régime. Je veux dire que tous ceux qui souhaitaient venir investir au
Sénégal vont renoncer pour aller ailleurs. J’aurais souhaité que
beaucoup d’argent arrivât chez nous, mais ce sera difficile. Pour le
reste, Macky a fait du chemin avec les personnes concernées par la
traque. Beaucoup de chemin ! Karim Wade par exemple s’est emmuré dans un
silence assourdissant mais vous pensez qu’il ne sait rien de ce qui
s’est passé ? Je pense qu’il en sait beaucoup. Vieux Aïdara, l’ancien
patron de la chaine Canal Infos, a dit sur un site que dans le compte
attribué à Karim Wade à Monaco, Macky Sall a puisé 4 milliards entre
2004 et 2007.
« A la place de Macky, j’aurais ordonné la dissolution de la CREI »
Le président a lui-même révélé avoir bénéficié des privilèges du régime.
Voilà (il se répète). Il l’a dit à des journalistes américains, en
arguant qu’il a occupé dans le régime des places qui lui conféraient des
privilèges. Si le Premier ministre peut avoir 4 milliards, le ministre
peut se retrouver lui aussi avec un peu, étant donné ses
responsabilités. Non ! C’est un problème sérieux. A sa place, j’aurais
ordonné la dissolution de la CREI, en continuant, s 'il y a lieu, les
enquêtes et procédures avec les tribunaux normaux existant déjà.
Regardez ce que fait le Procureur Ndao qui, après des mois de mise en
demeure sans trouver des preuves, décrète une seconde initiative portant
sur des faits déjà reprochés à Karim. Tout ça dégage une nette volonté
de régler des comptes personnels comme, au demeurant, Macky en avait
clairement pris l'engagement en son temps. Mais, pour faire court, ça
ne prospère pas dans un pays comme le Sénégal, de même que l’auteur
d’une telle pratique n’en sortira pas indemne.
Avez-vous été surpris par les procédures enclenchées contre ces responsables avec qui vous avez été dans un même régime ?
Pour ne rien vous cacher, mon rapport aux biens matériels a toujours
été singulier. Du point de vue de la dignité et de la considération de
la personne humaine, je ne regarde pas différemment un milliardaire et
celui qui peine à trouver son repas de midi. Ceux qui me connaissent
peuvent en témoigner. Je pars de l'idée que les autres fonctionnent
selon le même principe que moi. Je ne me mettais donc pas à imaginer
que Moussa Ndiaye ou Jean ou Paul étaient en train de dilapider les
ressources ou non. Et aujourd’hui sans preuves, je ne peux croire les
accusations portées contre ceux qui sont incarcérés parce que la
présomption d’innocence existe. Si on était dans une procédure
judiciaire normale, il n'y aurait pas eu tout ce tollé mais plus on
avance, plus la vérité d'une vengeance qui se déchaîne s'impose. Et moi,
je ne partagerai jamais cette façon de faire.
Comment votre parti se positionne-t-il dans l’opposition ?
Avec aisance ! Parce que nous connaissons l’opposition. J’ai dirigé ma
première grève à l’âge de 18 ans, sans être encore militant d’un parti
politique. J’étais encore un simple contestataire. Je suis entré en
politique à 23 ans, avec AJ du temps de la clandestinité. Jusqu’en 2000,
cela fait 27 ans d’opposition. Je n’ai jamais regardé le palais en
passant par l’avenue Roume (devenue Léopold Sédar Senghor), je
détournais toujours les yeux pour mieux contester. J’ai accompagné Wade
pendant les 12 ans de son régime mais, quand on parle de lui je suis
fier. Il a réalisé des choses que n’ont pas faites ses prédécesseurs.
J’en suis ravi. Quant à son successeur, en moins de deux ans de
gouvernance, tout le monde convient qu'il ne fait pas avancer le pays
pour l'instant, hélas!
En termes de responsabilités, vous êtes maintenant député à l’Assemblée.
J’ai été député en 1998 avant d’être ministre, en 2000. J’ai une petite expérience de l’Assemblée
« En 2012 les Sénégalais ont été grugés sur la marchandise. Après, on s’est rendu compte qu’il s’agissait de pacotille »
En quoi la législature actuelle est différente des autres ?
Il n’y a pas trop de différences ; même les députés membres de la
Coalition au pouvoir en conviennent et ceux que je connais veulent que
ce soit différent. Le président Niasse lui-même est animé de cette
volonté. Il ne suffit cependant pas d’avoir la volonté pour que le
changement se produise. même Macky veut que le pays ne soit
plus…."Macky" mais le gap avec le concret est énorme. Je suis quand même
content de la traduction simultanée qui va être introduite à
l'Assemblée nationale. Je me bats sur cette question depuis 1999 lorsque
j'ai introduit une proposition de loi pour que les députés ne
comprenant pas français puissent s’exprimer dans leurs langues
maternelles tout en se faisant comprendre de leurs collègues grâce à la
traduction simultanée. Cela leur permettra d’exprimer mieux que
quiconque leurs ambitions. Même en tant que ministre chargé des
Relations avec les Institutions, j’en avais discuté avec Bruxelles. Je
suis ravi d’apprendre que les présidents Macky Sall et Moustapha Niasse
sont déterminés à réaliser le plus rapidement ce projet.
Ce sera une véritable avancée pour le fonctionnement de l’Assemblée ?
Tout à fait. Et je leur en saurais gré.
Parlons pour finir du départ d’Idrissa Seck de Benno qui va certainement être un renfort de taille pour l’opposition.
Incontestablement ! On peut aimer ou ne pas aimer Idrissa mais, ce n’est
pas n’importe qui. Je l’accueille les bras ouverts et en profite pour
dire à ceux de l’opposition convaincus de la nécessité de mener bataille
pour faire partir les tenants actuels du pouvoir de faire preuve de
beaucoup de dépassement. La saison des ego surdimensionnés est passée de
mode. J’ai entendu des militants d’un parti dire que Idrissa Seck doit
venir se ranger derrière leur leader; ce genre de discours est porté
soit par des gens à l'expérience politique limitée soit alors, si tel
n'est pas le cas, par des gens qui sont au service Macky Sall
(catégorique). Et ce leader, connu pour son sens de la mesure, ne
parlerait ni n'agirait comme cela. Je le dis fermement, retenez le : Les
espoirs placés dans le pouvoir actuel s’amenuisent et le peuple ne
continuera pas à endurer ce qu'il endure par les temps qui courent. Il
ne va pas continuer à croiser les bras alors qu'il n'a pas à manger ni à
boire. Ça ne se produira pas. Par conséquent, l'absence d'une
opposition forte et crédible ouvrirait la voie à des alternatives qui
ne seront pas des plus joyeuses.
Vous pensez à l’Armée ?
Je ne le souhaite pas parce qu'auparavant bien des catastrophes et des
dégât se seront déjà produits. Les leaders politiques de l'Opposition
doivent tenir leur rang, être à la hauteur des exigences de la période.
Et y convier tous leurs militants et leurs responsables. J’appelle
l’opposition à se mobiliser pour un vaste front uni contre ce qui se
passe, en s'acceptant, en tolérant nos différences sur les aspects qui
ne sont pas de principe. En même temps, il nous faudra tirer les
enseignements des expériences précédentes parce qu’en 2012 les
Sénégalais ont été grugés sur la marchandise. Les populations étant
fatiguées, on leur a fait miroiter des solutions aux questions de
l’emploi, de la cherté de la vie, des inondations, des coupures
d’électricité, etc. Après, on s’est rendu compte que la marchandise
était de la pacotille. L’opposition ne peut pas leur proposer la même
chose. Oui Idrissa Seck est venu me rendre visite. Je ne dirai pas ce
qu'on s'est dit. Je retiens simplement qu'il a été cohérent dans la
démarche. Il avait d'abord indiqué que le pays ne marchait pas. Plus
tard, il en a tiré les conséquences après avoir noté que des actes forts
de redressement n'avaient pas été posés. S'il n'avait pas quitté
l'attelage, sa démarche aurait été incompréhensible ou aurait porté à
confusion. Il a été donc conséquent.
A présent, tous les leaders de l'opposition conséquente doivent se retrouver. Qu'il s'agisse, par ordre alphabétique, de Abdoulaye Baldé, de Pape Diop, de Sitor Ndour, de Oumar Sarr ou encore de Idrissa Seck et de tous les autres, je leur dis : l'Heure est grave. Le peuple Sénégalais exige l'unité et nous devons nous retrouver en tirant les leçons des expériences antérieures pour être forts parce que crédibles.
Parlons maintenant de votre parti AJ, ou plus exactement de la frange que vous dirigez.
Cette façon de présenter le problème ne m’agrée pas mais, je n’y peux
rien. On est dans un pays où le respect des décisions de justice, y
compris de respect de la légalité n'est pas la chose la mieux partagée.
Un parti a des statuts et un règlement intérieur, en somme une
constitution mais en Afrique, le leader gère généralement le parti comme
s'il en était le propriétaire. On parle du « parti de X » (comme si les
autres membres n'étaient pas des "nawlé" c'est à dire des paires, mais
des moutons, des chèvres et des vaches, en tout cas des êtres
inférieurs). Vous agissez selon vos désirs et excluez tous ceux qui
pensent autrement à moins qu'ils ne quittent d'eux-mêmes pour aller
créer un autre parti (d'où d'ailleurs le foisonnement des partis
politiques). Comment voulez-vous que quelqu'un qui est habitué à tordre
le cou aux règles établies à l'intérieur de son parti du simple fait
qu'il en est le chef, puisse s'abstenir de tordre le cou à la
constitution et aux lois du pays une fois à la tête de celui-ci ? C'est
pourquoi, parmi les réformes arrivées à maturité, celle des partis
politiques, notamment de leur régime intérieur, pour en faire des
espaces réellement démocratiques, devrait figurer en bonne place.
A AJ, nous avons mis en place des textes anticipant sur ces types de
situations notamment les cas où les dirigeants décident de confisquer la
souveraineté du parti pour n'en faire qu'à leur guise. C'est ainsi que
si par exemple les leaders ne convoquent pas de congrès et que les ¾ des
fédérations le décident, le congrès se tient de plein droit quelque
soit l'avis du Secrétaire général. De même les droits de la minorité
sont garantis par nos textes. Par exemple, dans le parti, aucune
structure n 'a le droit d'exclure un de ses membres. Au plus, on peut le
suspendre avant de s’en ouvrir à l'échelon supérieur pour statuer sur
le cas, après enquête. Moi, j'ai été élu Secrétaire Général Adjoint du
parti par un congrès de 1500 délégués en 2005 alors qu’on a voulu
m’exclure dans un bureau politique de 43 présents en 2009, dont la
majorité a refusé de s'associer à la procédure au motif qu'elle est
illégale selon les dispositions que je viens d'évoquer. Lorsque l'ancien
Secrétaire Général a malgré tout opéré son forcing, le parti a
immédiatement riposté en mettant en branle les textes que j'ai convoqués
tantôt. Des 45 fédérations que compte le pays, les 38, soit plus des
3/4 (c'est à dire 34) requis par le règlement intérieur, se sont
prononcés contre mon exclusion et exigé la tenue d’un congrès
extraordinaire pour remettre les pendules à l'heure. Et ce, à travers
des résolutions signées par les militants à la base et transmises aux
préfets, aux gouverneurs sur l'étendue du territoire et au ministre de
l’Intérieur. Après quoi, tous les secrétaires généraux des fédérations
départementales signataires se sont retrouvés à Dakar avec leurs valises
de documents et ont fait constater par huissier de justice tous les
actes. Je signale que la plupart des secrétaires généraux présents
étaient Sg de leur département depuis que mon grand frère était patron
du parti. Dans aucun de ces papiers remis au ministère de l’Intérieur
vous ne verrez mon nom, parce que je n’y jouais aucun rôle n'étant pas
secrétaire général de fédération. Pour le congrès, mon grand frère et
moi avons été convoqués au même titre mais lui décrétait l’exclusion de
tous ceux qui seraient présents. D'après la presse, 17000 personnes
étaient présentes à la séance d'ouverture le 13 juin 2009. A la fin du
congrès, au moment des candidatures, j'ai déposé ma candidature au poste
de Secrétaire Général. Bien qu’étant le seul candidat, j’ai préconisé
le vote secret et cela a suscité un débat jusque tard. Vers 2 heures du
matin, un camarade nommé Gora Diallo de Diourbel a fait une motion pour
demander le vote à main levée à la place du vote secret puisque les
2500 délégués étaient épuisés et que le vote et le dépouillement
pourraient durer toute la nuit. La Motion a été acceptée par acclamation
contre mon gré. Voilà la réalité des faits. Jusque là mon Grand frère
était toujours le Secrétaire général et moi son second ; mais après mon
élection et la transmission des dossiers du congrès au ministère de
l’Intérieur, et à l’issue d’enquêtes de ses services et de sa lettre
réponse constatant que le congrès a été conforme à nos statuts et
prenant acte de mon élection comme Secrétaire Général d'Aj/Pads, j’ai
écrit à mon grand frère, en tant que nouveau Secrétaire Général du parti
élu par le congrès pour que nous fassions la passation de service.
C'est en ce moment qu'il a pris cette lettre pour m'attaquer devant le
tribunal correctionnel pour usurpation de fonctions, faux et usage de
faux. Le tribunal nous a donné raison. Il a fait appel du jugement et
la Cour d’Appel l'a de nouveau condamné. Le ministère de l’Intérieur
sous Wade avait donné raison au parti, le tribunal aussi, de même que le
régime de Macky avec Mbaye Ndiaye ministre de l'Intérieur au moment des
élections législatives. En effet, j’ai déposé ma liste en tant
qu'And-Jëf. Elle a été validée par la juridiction compétente après que
le ministère de l’Intérieur a accepté de la recevoir. Wade n'était plus
là mais l'Etat est toujours là pour certifier que les décisions du parti
sont souveraines et que le parti n'est pas un objet ou troupeau de
moutons que l'on peut arracher des mains de Moussa pour le remettre à
MODOU. Aujourd’hui je suis député issu de la liste AJ à l'Assemblée
nationale. Ce dossier est clos.
« Je n’ai jamais pensé que nous pourrions en arriver à une situation où Landing Savané demanderait mon exclusion d'Aj»
Quid de vos relations avec le « grand frère » Landing ?
Un peu triste. C’est mon grand frère (il se répète). Nous avons beaucoup
vécu ensemble, depuis plus de 30 ans. Au lycée Van Vo déjà (aujourd’hui
Lamine Guèye), j’étais en 5e et lui en Terminale. Il était brillant
élève décrochant des prix d'excellence. Je le connaissais et
l'admirais. Nous nous sommes ensuite retrouvés dans la politique, mais
voilà Satan est passé par là. Je n’ai jamais pensé que nous pourrions
arriver à une situation où Landing demanderait mon exclusion du parti,
ou que nos chemins se sépareraient. Plus tard, il a révélé avoir été
averti, dix ans auparavant, d’un complot que je préparais contre lui,
mais il disait attendre d’en avoir les preuves. Cela veut donc dire que
pendant tout ce temps on parlait de moi sous un certain angle à mon
insu.
Je voudrais quand même vous indiquer, pour terminer sur ce point que, tenant compte de cette douloureuse expérience que nous avons vécue, il est désormais inscrit dans nos statuts la double limitation des mandats du Secretaire Général pour éviter la patrimonialisation. Premièrement le Secrétaire général élu par le congrès ne peut plus avoir plus de deux mandats à la tête du parti. Deuxièmement, le mandat peut être inférieur mais ne peut excéder cinq ans.
Entretien réalisé par SenewebNews
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