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Les religieux aux portes de l’hémicycle : la République est-elle menacée ? Par Ousmane Abdoulaye Barro

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Les religieux aux portes de l’hémicycle : la République est-elle menacée ? Par Ousmane Abdoulaye Barro

« L’islam intervient comme une variable des Républiques musulmanes sans en constituer le facteur explicatif. Du point de vue de l’analyse politique, il n’existe d’ailleurs pas en tant que catégorie, bien que nous rencontrions sans conteste des musulmans. Là, comme ailleurs, l’interprétation culturaliste embrouille ce qu’elle prétend éclairer : la dimension culturelle de l’action politique. » (Jean François Bayart, in L’islam républicain, Editions Albin Michel, 2010).Cette remarque d’ordre méthodologique semble ne pas préoccuper la plupart des chercheurs ou analystes de « l’islam politique ». L’obstacle est quasi insurmontable chez les professionnels de la politique ou les journalistes. D’où l’interrogation rhétorique du politiste français : « Pourquoi douter de la compatibilité de l’islam avec la République quand des centaines de millions de musulmans vivent d’ores et déjà en République, plutôt qu’en monarchie ou en théocratie ? »

Qu’il s’agisse de la Turquie, de l’Iran comme du Sénégal, l’énonciation de la politique s’est opérée sur le mode d’une « synergie » entre islam et République, et non sur la base de leur opposition radicale dont Moustapha Kemal serait l’artisan modèle. Contrairement à la suggestion du doyen Amady Aly Dieng, le débat autour des rapports entre politique et religion se caractérise par une pauvreté que les médias privés peinent à vouloir combler. Et la proposition du Professeur Souleymane Bachir Diop,

faisant écho à celle de Régis Debray, d’enseigner les religions, est loin de rencontrer l’enthousiasme de nos autorités. Il serait pourtant regrettable que cette initiative soit laissée à l’appréciation unique des institutions académiques à l’instar du projet du Recteur de l’Université de Saint-Louis. Un débat inclusif est nécessaire avant toute mesure allant dans le sens d’introduire ce type de formation dans les programmes d’études. D’ailleurs le retard apporté au démarrage des cours à l’université de Saint-Louis s’expliquerait par les dissonances sur le contenu réel des enseignements.

La contre-offensive réformiste, si timide soit-elle, pourrait faire l’objet de sérieuses controverses par les débats que ses militants seront amenés à susciter au niveau du parlement. Leur présence dans une institution pourra cristalliser un ensemble de demandes à orientation religieuse. Cette contribution s’inscrit dans une perspective de banalisation de « l’islam politique » qu’une certaine élite occidentalisée soupçonne injustement de mettre en péril les principes de la République. L’arrivée au pouvoir des partis islamistes à l’issue d’élections libres en Tunisie, au Maroc, en Egypte et, avant, en Palestine, n’y changera peut être pas grand-chose. Cette crainte est d’autant plus infondée que les réformistes sénégalais évoluent dans un contexte qui ne leur impose pas le rapport tendu que les régimes autoritaires arabes ont entretenu vis-à-vis à des islamistes. L’épouvantail laïc est sans nul doute l’obstacle le plus difficile à surmonter à cause des amalgames de part et d’autre. Comme le regrette le professeur Tareq Ramadan, religieux et laïcs font curieusement bloc pour indiquer que l’islam ne sépare pas les pouvoirs spirituel et temporel. Il convient de les renvoyer dos à dos en nuançant, d’une part, le propos des premiers et, d’autre part, en récusant la conception unidimensionnelle que les seconds ont de la laïcité. En effet, si le message islamique incline à soumettre la vie entière de ses fidèles à Allah, il n’en distingue pas moins ce qui relève du culte de ce qui ressort des relations sociales et politiques. Ce dernier chapitre obéit aux principes généraux de l’éthique qui constitue à bien des égards le patrimoine de toute l’humanité. Pour ce qui concerne la laïcité, beaucoup parlent du modèle français en faisant abstraction des autres expériences européennes ou américaines. Nous sommes loin de penser qu’il y a autant de laïcités que de pays, mais il est tout de même évident que ces derniers aménagent de manière particulière les rapports entre ces deux instances. Contrairement à la France, la religion musulmane, au-delà du fait qu’elle soit la religion de la majorité des citoyens sénégalais, constitue un élément fondateur de notre nation.

Le leader de la liste MRDS, imam Mbaye Niang, a souligné de manière ferme qu’ils ne transigeront pas sur les aspects qui touchent à la religion. En plus de fonder son analyse sur le respect de ce que les Sénégalais ont de plus sacré, il entend transposer un débat dont la portée politique est restée quasi nulle en dépit de notre accession à la souveraineté politique. La dépénalisation de l’homosexualité n’est pas le seul point inscrit dans l’agenda des associations ou personnes qui vont soutenir les alliés du prédicateur Alioune Sall. On peut citer, entre autres revendications, le respect de la sacralité des institutions religieuses, notamment Dieu, la prière etc., la réhabilitation des bonnes mœurs avec le rôle primordial des médias, un cadre juridique favorable à l’intégration de la finance islamique, la solidarité avec le peuple palestinien…

Nous venons de célébrer le premier anniversaire du 23 juin qui a donné naissance à la deuxième alternance. Faudrait-il réfléchir sur les motivations et les ressorts qui ont favorisé un tel élan démocratique ? Les rappeurs, naguère infréquentables, ont montré toutes les qualités humaines qui se cachaient derrière leur lâche apparence. Leur légitimité politique est aujourd’hui incontestable. S’il y a une dimension qui a échappé à l’attention des observateurs, c’est bien celle ayant trait à la religion. Je suis pourtant en mesure de dire que le sacrifice de l’étudiant Mamadou Diop s’est nourri à la source de sa foi. C’est aussi cette foi qui s’est exprimée le jour du 23 juin lorsque les étudiants de l’Association des élèves et étudiants musulmans du Sénégal (Aeems), entre autres, ont mobilisé leurs membres et les étudiants pour manifester vigoureusement leur indignation. (...)

Voir dans l’engagement politique des « islamistes » une atteinte aux valeurs de la République, c’est ignorer les mutations que la démocratie est en train de connaître. Les philosophes politiques, politistes et sociologues de la religion attirent l’attention des chercheurs et décideurs sur les enjeux qui vont structurer l’avenir des sociétés modernes. Les critiques les plus récentes de la laïcité dans sa version radicale ne sont pas l’œuvre des religieux, mais plutôt celle du chantre de l’espace public, Jürgen Habermas, dans son ouvrage intitulé " Entre naturalisme et religion ". La dernière publication de Jean Beaubérot est tout aussi stimulante que " La religion dans la démocratie " de Marcel Gachet ou la réflexion pionnière de Danielle Hervieu-Leger sur la sécularisation. Le rapport Stasi qui a conclu à l’interdiction du port du voile à l’école publique est paradoxalement plus nuancé que bon nombre de nos compatriotes.

La perspective de recherche que nous indiquons est celle qui consiste à analyser le phénomène religieux dans le cadre de l’émancipation de la société civile par rapport à l’Etat, instance sommée de représenter davantage les citoyens dans leurs différences, plutôt que de les couler dans le moule d’une quelconque conception de « la vie bonne ».

Par Ousmane Abdoulaye Barro, Titulaire d’un DEA de science politique à l’UGB, Secrétaire exécutif de l’AEEMS



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