
Les livres sont des révélateurs du sournois. Les écrivains sont les condensateurs des charges de leur époque, et celles-ci, dans la nôtre, sont pour beaucoup négatives. Thilo Sarrazin : L’Allemagne court à sa perte. Alain Finkielkraut : L’identité malheureuse. Eric Zemmour : Le suicide Français. Et ils sont loin d’être les seuls à voir l’avenir en noir djihadiste. Le pouls pris, l’hypertension sociale ne fait plus de doute. Et l’organe de presse aux portes de l’artère, longtemps sous la pression du cancer djihadiste, d’exploser en lambeaux. Fatwa sanguine, le sang a giclé. Coïncidence troublante, Michel Houellebecq sort Soumission ce jour même en librairie : un roman d’anticipation. Nous sommes en 2022, suite à des élections dans une période de parodie démocratique, la France tombe sous le joug de la charia du parti de la « Fraternité musulmane » de Mohamed Ben Abbès : tout un programme ! Provocation perfide ? Lucidité visionnaire ? Il y a dans cette projection accélérée de quoi faire froid dans le dos de ces enfants de la patrie hexagonale.
Le sang, disais-je, a coulé, par douze fois. Déflagration médiatique, indignation nationale, et même, planétaire. Focus sur Al-qaïda, Daech, Front Al-Nosra, la nébuleuse jubile en effervescence. Métastase terroriste, la cellule cancéreuse fauche encore le lendemain. La France, surprise, terrifiée et indignée, fait corps. Elle se mobilise, le cerveau constitutionnel en tête. Pour une fois il gère sans couacs. Dans une discrétion guerrière, le système de défense se met en place et tisse une toile policière hexagonale infranchissable, la traque est à son summum. Un vendredi décisif s’ensuit : redéploiement métastasique de la cellule, double opération chirurgicale policière, bistouris sanglants, le rouge de la frayeur sous les rangers GORE-TEX. Pansement, rassemblement, recueillement, Marseillaise : je suis Charlie, tu es Charlie, il est Charlie, nous sommes Charlie. Mais l’émouvante conjugaison Charlie suffira-t-elle à redonner des forces à ce corps hexagonal pétri ? Cet hexagone qui n’a pas su digérer, dans une période de fertilité trente-glorieuse, la prolifération des corps étrangers qui, aujourd’hui, faute d’adaptation à la température du milieu culturel, retournent leurs rejetons cellulaires contre lui ? La période postopératoire sera longue et difficile, car il va falloir passer à une chimiothérapie sociale lourde.
L’Hexagone a enterré dix-sept enfants de la patrie, qui sont-ils ? Les frères Kouachi, Saïd et Chérif sont deux Arabes parisiens, produits manufacturés de la radicalisation salafo-carcérale. Pris dans le filet de la toile djihadiste, ils ont voulu venger, selon eux, l’offense subie par le prophète Mahomet de la part de ces croisés hexagonaux de Charlie Hebdo. Dans leur élan, ils ont buté un Arabe, Mustapha Ourrad, un amateur de Nietzsche et de Baudelaire. Ils ont aussi, dans cette folie meurtrière, aveuglés par la haine de l’uniforme, refroidi Ahmed Merabet, un autre Arabe, un musulman, un frère. Alors que le compte à rebours vers leur mort programmée est engagé, Amedy Coulibaly, un autre spécimen du moulage salafo-carcéral, noir et originaire de Bamako-Sur-Seine, hérite du relais HYPERLINK "www.larousse.fr/dictionnaires-prononciation/francais/tts/341320fra2" mortifère et s’en prend à un autre uniforme à Montrouge, lequel habillait Clarissa Jean-Philippe, une Noire des îles d’Outre-mer. Se voyant lui-même compté, il se barricade dans le supermarché Hypercacher, Porte de Vincennes. Là, il exécute quatre malheureux juifs, juste parce qu’ils sont juifs.
J’ai eu tout de suite envie de dire : « Malheur aux musulmans, encore eux ! Malheur aux Arabes ! Malheur aux Nègres ! Malheur aux Africains, Malheur aux barbares ! » J’ai eu envie de soulager ma conscience sur quelques boucs émissaires bien stéréotypés, bien visibles. J’ai eu envie de noyer ma honte dans la mare aux minorités dites visibles, coupables bien désignées. Parce que je suis noir, musulman, Africain d’origine (heureusement, je ne suis pas encore Arabe), parce que je suis indigné, que je ne veux pas porter le chapeau, j’ai eu envie de rentrer dans la foule et de crier : « Je suis Charlie, Not in my name ! ». J’ai toujours eu peur de la foule. Je ne sais pas pourquoi, mais elle me terrifie. Il faut se calmer, débrancher ses tripes, brancher son cerveau. J’ai entendu alors Spinoza me dire de ne pas rire, de ne pas pleurer, mais de comprendre. Dans l’Hypercacher il y avait un Noir, un musulman malien, même pas Français ; je le vois encore en train de pousser des juifs dans la chambre froide du supermarché pour pas qu’ils tombent entre les mains de Coulibaly. Lassana Bathily : le héros est musulman, noir, africain. Je n’oublie guère ces policiers qui risquent au quotidien leur vie, alors même, qu’en voyeurs téléphages nous nous vautrons dans notre doxa à lieux communs, dans nos petits salons, devant nos petits écrans, avec nos petites opinions. J’irai même, juste pour la pédagogie, rappeler d’entre les morts, ce policier Charlie : Ahmed Merabet. Lui le musulman français, Arabe et policier, lui qui a défendu des journalistes mécréants, qui taillent leurs crayons à se moquer de sa religion, contre d’autres Arabes qui se prétendaient musulmans ; il a payé de sa vie.
J’ai compris alors que la France d’aujourd’hui est complexe ; que désormais dans ce pays tout est mélangé. L’Hexagone est devenu multicolore, multiethnique, multiculturel, multiconfessionnel, que cette hétérogénéité, dans la flèche du temps hexagonal, est irréversible. Toute chirurgie séparatrice, de quelque prétendue finesse qu’elle se réclame, ne pourra guère séparer le bon de l’ivraie. N’en n’est-il pas ainsi de toute chose ? Gare aux hygiénistes ! Alexandre Soljenitsyne, dans L’Archipel du goulag, apprend à son corps défendant, face à cette fascination du chiffre « deux », la pluralité humaine : « Peu à peu, dit-il, j’ai découvert que la ligne de partage entre le bien et le mal ne sépare ni les Etats ni les classes ni les partis, mais qu’elle traverse le cœur de chaque homme et de toute l’humanité. Dans un cœur envahi par le mal, elle préserve un bastion du bien [...] Dans le meilleur des cœurs - un coin d’où le mal n’a pas été déraciné. » La France va-t-elle détruire un morceau de son propre cœur ? Dans sa lecture de Tout passe de Vassili Grossman, Alain Finkielkraut, imprégné de la littérature dissidente de l’ère stalinienne, lui aussi nous met en garde contre notre « volonté exaltée » d’aseptiser la société : « Le Mal, autrement dit, ne procède pas d’une corruption de l’élan originel. Le Mal est dans l’élan lui-même, dans le fait de localiser le Mal, de lui découvrir une adresse et de se vouer avec une ardeur rédemptrice à son anéantissement. » Puisqu’il se trouve en nous, le « Mal », charité bien comprise et bien ordonnée commence par notre anéantissement propre. « Je n’ai jamais pu me tuer moi » répond alors Louis Ferdinand Céline. Nous ne pouvons pas nous tuer ? Alors reprenons-nous. Repensons la Politique, repensons la République, repensons le Vivre-ensemble.
Debout la France, regarde-toi en face. Courage Hexagone, jette un coup d’œil sur tes périphéries. Courage Occident, attaque-toi au terreau qui fabrique le cancer terroriste. Les interventions militaires Occidentales, sous couvert du droit d’ingérence, en Syrie, Afghanistan, Irak, Mali, Libye... n’ont généré jusqu’ici que désordre et chaos dans ces endroits. Et quoi d’autres ? Des frustrés haineux prêts à se venger. Et quoi encore ? Des envahisseurs qui fuient, par bateaux, mort et misère. D’où viennent Saïd, Chérif et Amedy et les autres dans l’ombre ? Ils sont les fils de la France de l’après-deux-guerres en reconstruction.
Leurs pères, entre sécheresse, famine et misère chronique sur la rive africaine, plan Marshall et Trente glorieuses sur celle occidentale, ont décidé de franchir le pont de l’immigration massive. Depuis les villages du Fouta sénégalo-mauritanien, du Mali, jusqu’à ceux des Atlas maghrébins, des armées d’incultes corvéables à merci, aspirées par cette différence de potentiel industriel, ont pris place dans des blocs de béton d’une laideur consternante. Ont-ils râlé ? Non ils étaient trop contents de voir un lave-linge. Le problème, c’est la concentration, c’est l’apartheid, c’est la consanguinité, c’est l’enferment tribal dans la banlieue. Autrefois, pas si longtemps que ça, on pouvait critiquer l’Afrique du sud et l’apartheid sans être frappé d’anathème pour racisme anti-blanc. Aujourd’hui il est impossible de critiquer sereinement Israël et le sionisme colonialiste sans recevoir en plein cœur « l’arme absolue de langage » : antisémite ! Et ta classe politique, et celle médiatique ? Qui fait dans l’amalgame démagogique ? Qui se précipite vorace sur cette nourriture nauséeuse ? Qui est prêt à vendre son âme au diable électoraliste pour un point de suffrage en plus ? Qui est prêt à répandre n’importe quelle sornette pour grimper sur l’échelle médiamétrique ?
Les livres sont des révélateurs du sournois. Les écrivains sont les condensateurs des charges de leur époque, et celles-ci, dans la nôtre, sont parfois positives. Claude Askolovitch : Nos mal-aimés : Ces musulmans dont la France ne veut pas. Edwy Plenel : Pour les musulmans. Charlie est un révélateur ; il nous invite à la « pensée élargie », celle d’Emmanuel Kant, laquelle suppose de nous décentrer pour voir et nous voir dans la perspective de l’altérité. Elle nous éloigne de l’esprit borné. L’archétype même de ce que nous devenons dans notre incarcération tribale...
El hadji Samba Khary Cissé
Ecrivain-essayiste
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