
S’il est un lieu commun, actuellement, dans la société sénégalaise, c’est celui qui consiste à soutenir que l’on assiste à une dépravation des mœurs. On nous cite pêle-mêle l’homosexualité, l’habillement indécent, la pornographie, les danses salaces, la prostitution, etc. L’ordre moral est en train de foutre le camp et de céder sa place à une immoralité sans précédent. Mais est-ce vraiment le cas ? Ne serait-ce pas tout simplement une panique ou une agitation morale indigne?
Il nous semble, toute proportion gardée, qu’effectivement la société sénégalaise évolue beaucoup plus dans une sorte de panique morale, aux conséquences beaucoup plus fâcheuses que cette dépravation des mœurs présumée. Le plus beau résultat de cette panique morale est sans nul doute, la situation de suspicion dans laquelle on a instauré le pays. On suspecte le voisin. On juge à l’emporte-pièce et chacun se croit être celui qui est le dépositaire de la bonne conduite morale. Ce sont les autres qui sont devenus mauvais. Il va falloir ainsi que l’on y mette un peu d’ordre dans cette frénésie suspicieuse.
De quoi s’agit-il en fait ? De deux situations très objectives !
La première, la plus pernicieuse, est celle-là qui consiste à généraliser à toute la société, un fait divers qui se passait dans un petit quartier, dans une petite maison et dans une petite chambre. On en vient à l’amplifier de sorte que l’on a l’impression que c’est tout le monde ou que toute cette catégorie est fautive. Par exemple, quelqu’un bat sa femme, on fait comme si tous les hommes battaient leur femme. Quelqu’un se masturbe sur un banc public, tout le monde est mis dans le paquet. On surprend quelqu’un faire du pelotage dans un bus, on demande à tout le monde d’être sur ses gardes et de considérer son voisin, comme un éventuel obsédé sexuel. Mais, au nom de quoi, le comportement moral d’un individu ou de plusieurs centaines d’individus devrait-il être généralisé à plus de douze millions ? Il n’y a rien de plus absurde que cette procédure ! Il est même, a contrario, réconfortant de noter l’indignation que cela soulève de la part des populations.
Cette indignation, à elle seule, suffit comme baromètre, pour démontrer par-là, qu’effectivement la société a encore une bonne santé morale vis-à-vis de ces faits incriminés. Le tollé que cela suscite est une bonne indication de l’état moral de la société. Ainsi, on peut considérer que cette amplification est l’œuvre d’une presse en panne d’inspiration et de certaines ONG qui en font leur fonds de commerce. Même s’il faudrait reconnaitre que le peuple sénégalais est très friand de ce genre d’informations. Ainsi, dans ce premier cas de figure, on peut à juste titre dire qu’il n’y a pas péril en la demeure. Il n’y a que des faits divers que l’on amplifie à outrance jusqu’à arriver à créer une panique morale, que rien ne justifie.
La deuxième situation, la plus complexe, est celle maintenant qui entérine le fait que la société sénégalaise est devenue très hétérogène. Cette diversité faisant craindre à une disparition de certaines identités. Ce qui ne manque pas de créer une certaine panique, parce que chacun a peur de disparaitre. Ce qui fait que tout le monde essaye de se réfugier dans « l’autorité de l’éternel hier » ou dans le « gouvernement des morts ». « Faisons comme le faisaient nos ancêtres et cela ira mieux », c’est le discours en tout cas que l’on entend très souvent dans la bouche de la plupart des individus.
Cependant, il semble que cette invite risque de prêcher dans le désert. Face à cette hétérogénéité, à cette complexité, le problème principal est celui de la cohabitation. Comment vivre ensemble avec nos différences, sans craindre d’être noyé dans l’autre ? Voilà, le principal défi de notre société actuelle ! Mais, c’est aussi cette situation qui met la société dans une posture inédite et parfois inconfortable, surtout à l’heure de la mondialisation. On a peur face à ce voisin qui ne partage pas les mêmes principes moraux que soi. Très vite on l’assimile à un dépravé ou pour généraliser, on dit que la société se déprave de jour en jour ou qu’elle est en crise.
La crise est certainement le terme le plus abusivement utilisé pour donner un sens, au milieu d’une absolue impunité interprétative, à la conduite des individus. Au nom de quoi le comportement différent des individus face à une situation est-il interprété comme relevant de la crise des valeurs ? En effet, tant qu’on voudra homogénéiser, c’est-à-dire, aussi longtemps qu’on aura une forme de pensée unique, dans un environnement qui se veut pluriel dans tous les domaines, alors on aura l’impression que rien ne va. Par exemple, qu’est-ce qui peut bien justifier que quelqu’un s’érige en promoteur de morale religieuse, là où officiellement on évolue dans un état qui se veut laïc ? D’ailleurs, on peut même être sidéré de voir un état laïc prendre une position tranchée sur des questions qui appellent plutôt de sa part, une très grande neutralité ? Par exemple, à propos de l’homosexualité, l’état n’a pas d’arguments objectifs pour s’y opposer.
Au lieu de demeurer neutre, il développe des arguments insipides du genre que ce sont des comportements contrenatures. On serait tenté de demander à l’état si c’est nature que d’interdire de mariage de deux individus hétérosexuels mais de castes différentes ? S’il est vrai que ce qui n’offense pas la société ne devrait pas relever de la justice, il est tout aussi vrai que l’on devrait renoncer à punir des actes qui n’occasionnent pas intentionnellement et directement des victimes. Ainsi, quand des individus, revendiquent haut et fort leur orientation homosexuelle, on devrait les laisser en paix. Ce n’est pas parce qu’ils sont devenus homosexuels, que toute la société le deviendra. Soyons sérieux un peu !
Voilà, je suis soulagé de m’être enfin décidé à dire ce que je retenais depuis longtemps…en attendant que quelqu’un le fasse !
Mamadou Moustapha WONE
Sociologue
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