
Il semblerait, à en croire une minutieuse Enquête (publication du 09-08-2016), que «l’État ne lâche pas Karim». Curieuse manière de (re)poursuivre cette icône avortée de l’enrichissement illicite. Après lui avoir aménagé une échappée nocturne. De l’enfer de Rebeuss vers le paradis du Qatar, pour un exil doré, à la fois volontaire et forcé. À la faveur d’un Protocole qui a réduit tout notre système judiciaire à un rôle purement protocolaire.
À tel point que face à la récente plainte de Karim Wade devant le comité des droits de l’Homme des Nations Unies contre l’Etat du Sénégal, le ministre de la Justice en est réduit à annoncer «une demande d’entraide judiciaire pénale internationale pour la confiscation des avoirs bancaires (de Karim Wade) en France et dans la Principauté de Monaco.»
Si bien qu’en l’occurrence, on aurait pu s’écrier comme Pascal : «Plaisante justice qu’une rivière borne ! Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà.» Sauf que dans cette affaire, il ne s’agit ni de vérité ni d’erreur, encore moins de justice, mais simplement d’un jeu politique dont les déterminants exclusifs sont des enjeux de pouvoir et des calculs politiciens. C’est précisément dans cette perspective et pour cette raison que Karim a été libéré et que lui-même a accepté les conditions de sa libération/exil. Qui plus est, des flancs de cette grossière affaire, on fait surgir d’autres affaires, aussi grosses que dérisoires, comme l’impertinente question de la double nationalité, l’élection des membres du Haut conseil des collectivités territoriales, la traduction de Ousmane Sonko et dangereuse devant le Conseil de discipline…
Par rapport à l’essentiel, il ne s’agit que récréations sans créations préalables, purs effets sans causes, qui nous font prendre notre immersion dans les antivaleurs de l’intolérance pour une émergence vers les vraies valeurs de la démocratie. Par leur comportement, nos gouvernants nous exposent ainsi à la «maladie historique» que reprochait Nietzsche à ses contemporains, dont il considérait qu’ils «marchaient à reculons, fixant obstinément le passé, le dos affronté à l’avenir et au progrès.» Comme Ulysse répliquant à Hector pour expliquer la guerre de Troie qui allait éclater : «Ce n’est pas par des crimes qu’un peuple se met en situation fausse avec son destin, mais par ses fautes.» Par la faute de ses dirigeants.
Depuis quelque temps, en effet, toute l’énergie du Président et de ses partisans est mobilisée pour combattre des adversaires politiques, en les mettant hors du circuit politique, en les disqualifiant pour la course de la prochaine présidentielle. La question de la double nationalité, sournoisement agitée ces temps-ci par le camp présidentiel, s’inscrit dans cette pernicieuse perspective.
Mais de manière encore plus cynique, le Président Sall s’emploie systématiquement à aliéner ses alliés à leurs propres ambitions politiques. En leur confiant des responsabilités à des positions de pouvoir où ils lui seront redevables de tout et prêts à tout pour conforter son pouvoir. Y compris en combattant leurs propres frères de parti. C’est ce qui explique la foire d’empoigne que constituent actuellement les investitures des candidats aux postes de hauts conseillers des collectivités territoriales. Le peuple, que ces aspirants aux hauteurs de ce Haut conseil sont censés y représenter, n’y a aucune autre part que celle d’assister, médusé et dépité, à ces querelles de bas étages.
Devant le spectacle qu’ils nous offrent ainsi en avant-goût de leur mandat, on peut se demander si ces conseillers, une fois élus, seront en mesure de donner des conseils avisés au profit des populations. En attendant les prochaines élections, présidentielle, législatives, locales…, nos politiciens s’emploieront à marquer leur territoire, conquérir ou conforter leur pouvoir, en attendant de penser aux électeurs pour la prochaine élection. Ainsi, comme le président Wade pour succéder à Diouf, le Président Sall à Wade, nous n’aura jamais de nos élus que leur parole. Qui, comme celle de Cassandre, pourra répéter indéfiniment : «Le poète troyen est mort, vive le poète grec.» Parole de politiciens…
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