
Sommes-nous tous familiers aux enfants de la rue, qu’ils soient accompagnés de leurs parents squattant les feux de circulation des grandes avenues de la capitale. Qu’ils soient talibés reconnaissables par leur inséparable pot de tomate en dur, devenue leur carte d’identité véritable. Leur activité journalière, tendre la main, sous le couvert de l’apprentissage du coran.
Les « sourates » de la mendicité
À les croiser dans la rue et les entendre réciter des litanies, dans les gares, les marchés et autres lieux de rencontre, ils donnent l’air de maîtriser mieux les « sourates » de la mendicité que les sourates du Livre saint. Livrés à eux-mêmes, à la merci de prédateurs pour lesquels ils sont devenus des proies faciles. Mais aussi à leurs bourreaux, ces maîtres coraniques qui souvent les violentent, les exploitent, les font travailler sans rémunération, de jour comme de nuit. Être talibé au Sénégal, c’est devenir un SDF qui fait de la rue son domicile fixe. Abandonnés aussi par des parents peu responsables et peu soucieux de l’avenir d’un enfant qui n’a pas demandé à naître pour élire domicile dans la rue.
Que font-ils dans les daaras ?
L’apprentissage de la parole de Dieu, les mômes n’y consacrent que très peu de temps. Occupés sont-ils à sillonner de jour comme de nuit les rues de la capitale et les artères des grandes villes. À la recherche d’aumône, de pitance, de riz, de sucre ou de bougies, d’une piécette de monnaie et peu importe la couleur. Leur suffit-il d’en collecter une bonne dizaine à remettre au maître daara qui s’arroge aussi le droit de disposer du meilleur de la nourriture récoltée chez des tiers.
Une mendicité chronique, omniprésente, devenue agressive même, d’autant plus que les mômes, pour récolter un billet de 25 ou 50 francs, n’hésitent pas à importuner les passants, les voyageurs, avec insistance. Mais il semble que c’est plus leur présence dans les rues et moins leur statut de mendiant qui dérange nos autorités et au plus haut niveau, ces bailleurs de fonds qui dictent leur loi et imposent à l’État les personnes à garder dans la rue, et celles à en chasser, à rafler afin de pouvoir, en retour, bénéficier de l’estime des pays du Nord.
Et récolter des financements de projets d’envergure, lesquels ne profiteront en rien à ces enfants des rues devenus partie intégrante du décor d’une capitale dont ils ont fini de ternir l’image.
Inutile d’en faire un tas, l’État est dans son spectacle habituel. Les rafles ne vont pas durer une éternité. On joue la comédie sur la scène internationale, au lieu de s’atteler de manière définitive à éradiquer ce fléau qui prive les enfants de leurs droits les plus élémentaires. Sont encore fraîches dans les mémoires les promesses du Premier ministre Abdoul Mbaye, au lendemain de l’incendie meurtrier qui a coûté la vie à 9 enfants de la Médina en mars 2013. Les mesures d’urgence annoncées n’ont pas été suivies d’effet.
La mendicité, faut-il l’admettre, n’est pas l’apanage des talibés, ces enfants mendiants qui ont déserté la rue, temporairement, traqués, chassés par un autre mendiant, le grand mendiant qui prend l’avion pour aller emprunter de l’argent à des pays tiers, ou quémander aux géants de ce monde un prêt qu’il ne remboursera pas... Le même qui recueille la charité dans des pays arabes.
Les plaies de la capitale
Si tout le monde peut convenir de la nécessité de sortir de la rue les enfants de la rue, la manière cavalière, le spectacle qui l’accompagne et la surmédiatisation, destinés à l’opinion internationale, laissent penser que l’État n’ira pas jusqu’au bout. Dans quelques semaines, les mômes extraits de la rue, retrouveront à nouveau leur domicile fixe, la rue, leur seule et dernière adresse connue. Comme si de rien n’était.
Comme si ces mendiants ne s’étaient que momentanément éclipsés. Dakar, au lieu de panser ses plaies, les cache, les couvre d’un voile épais qui se dissipera le jour où le grand mendiant décrochera le gros lot de son « Challenge ». Et, entre la fiction et la réalité, la seule fois où les enfants de la rue, personnes handicapées, mendiants et autres ont quitté la rue, c’était dans La grève des battù.
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