« Ce n’est pas la révolte en elle-même
qui est noble, mais ce qu’elle exige. »
Albert CAMUS
A chaque fois que je pense à ce pays, à ses mœurs, à ses hommes, je suis fier d’être né sur son sol et le plus grand mal qu’on m’ait fait a été de m’en éloigner. Heureux, toutes les fois que soumis aux manœuvres humiliantes d’Abdoulaye Wade, je vois ce peuple reprendre le dessus et affirmer sa souveraineté. J’ai eu ce sentiment en notant les réactions d’indignation, de colère qu’a suscitée la dernière audience accordée au fils de Double Less, qui a fini par se désolidariser de ceux qui ont voulu monnayer sa popularité. Mais avant Balla Gaye 2, tous les jeunes de Guédiawaye que les larbins d’Abdoulaye Wade croyaient conquis se sont élevés pour exprimer leur désaccord. La fermeté de leur refus, la vigueur de leur réaction n’est que l’écho de la révolte de tout le monde face à la corruption de quelques uns. L’affaire Balla Gaye 2 a fini comme celle du fameux Segura, par une sordide histoire de vol de billets de banque à laquelle l’entourage présidentiel est malheureusement habitué. Le palais présidentiel, cœur névralgique de l’Etat, symbole de la République, n’attire plus que des hommes cupides, les plus zélés entremetteurs parmi la courtisanerie, incapables de rallier le plus petit nombre d’électeurs en faveur de leur bienfaiteur.
Il est rassurant de voir que tout ce que le régime d’Abdoulaye Wade entreprend pour obtenir les faveurs de l’élite grandit la colère des populations. S’il y a des hommes qui se sont laissé corrompre, c’est qu’ils étaient déjà corruptibles. Ce sont d’ailleurs les mêmes qui agissaient sous l’ancien régime qui, sans le moindre scrupule, se sont mis au service d’Abdoulaye Wade. Cette petite bande de corrompus ne doit pas nous faire oublier le combat héroïque de tous ceux qui ont refusé de céder à la tentation de l’argent facile et qui, malgré les moyens déployés par Karim Wade pour se faire élire en mars 2009, l’ont sanctionné dans son propre bureau de vote. Ils ont encore défié la gendarmerie, en s’opposant à la mise en place d’une Délégation spéciale à la place de leur élu.
Je disais donc ma fierté. Mais c’est à mes amis libéraux que je l’exprime, bien paradoxalement. Ils ont sans doute bénéficié des faveurs qu’offre la proximité avec le pouvoir, c’est un fait. Mais pour mettre le pays à genou et asseoir son régime corrompu, c’est à des anciens socialistes et à des hommes qui n’étaient pas de son combat qu’Abdoulaye Wade a fait appel. En dehors de sa famille proche, aucun ancien responsable de son parti n’a vraiment joui de ses faveurs sans connaître un jour l’humiliation qui précède la disgrâce. La répression la plus féroce n’a pas été engagée contre d’anciens socialistes accusés de corruption, mais bien contre ceux qui étaient là quand la nuit était encore noire. C’est avec son ami d’enfance et ancien compagnon de Kébémer Ali Kébé qu’Abdoulaye Wade a été le plus injuste, le livrant aux manœuvres humiliantes des nouveaux venus, le laissant à l’abandon quand il avait besoin de ses soins. D’autres combattants vivent leur amertume, pendant que Serigne Mbacké Ndiaye et Malick Cissé plastronnent dans les couloirs du palais de la République. Abdoulaye Faye et Abdou Fall, qui ont tout donné au Pds, ont été chassés au profit de ces deux énergumènes.
Puisque l’opposition est absente de l’Assemblée nationale, nous devons aux élus libéraux le rejet du projet de loi qui allait donner au juge la latitude de classer sans suite les rapports sur la corruption et le blanchiment d’argent que lui transmet la Centif. Au-delà de la pression populaire, nous leur devons le rejet du projet de loi sur le ticket présidentiel que voulait nous imposer Abdoulaye Wade. Portés par le député Moussa Sy, ils ont produit autant d’amendements qu’il fallait pour vider le texte de sa substance, permettant à la rue de mieux s’organiser. En l’absence de l’opposition, des dizaines de députés ont agi en vibrants défenseurs de l’intérêt général. Des sénateurs qu’Abdoulaye Wade croyait avoir à sa solde en les nommant se sont élevés ouvertement contre les pratiques de son fils. Parmi ceux qui se réclamaient de l’entourage immédiat du chef de l’Etat, Pape Samba Mboup s’est montré le plus intransigeant dans son opposition à la dévolution monarchique du pouvoir. Tous l’ont fait au prix de leur disgrâce, parfois au péril de leur vie. Quoi que nous pensions d’Aminata Tall, Idrissa Seck, Lamine Bâ, Mbaye Ndiaye ou Macky Sall, c’est en s’opposant frontalement au projet monarchique d’Abdoulaye Wade qu’ils ont été combattus. Après leur départ, d’autres hommes méritants mènent le combat contre la candidature d’Abdoulaye Wade, en l’affrontant dans son Comité directeur. Les plus en vue sont les avocats Doudou Ndoye et Masokhna Kane. C’est que ce veut dire être un libéral. C’est croire à la liberté.
J’ai parlé de Lamine Ba parce que de tous, il est celui dont le sort est le plus injuste. J’ai été là pour apprécier sa contribution à l’avènement de l’alternance. Il était déjà un homme d’affaires prospère et s’était battu pour qu’Abdoulaye Wade puisse acquérir d’occasion, une Mercedes nécessaire à sa campagne. La première qu’il possédait est tombée en panne sur la route de l’aéroport, à son retour de France le 23 octobre 1999.
J’aurais pu ajouter Moussa Sy, que j’ai vu en de nombreuses occasions arriver dans la petite salle qui servait de permanence au Pds, à Fass, la chemise fendue, fier de défendre son parti et ses idées.
Nous devons à tous ces hommes une fière chandelle. Ils auraient pu se laisser aller à cette bouffonnerie honteuse, à cette camarilla indécente pour garder leurs privilèges. Ils se sont battus, for bien. Mais il est tant que tous ceux qui sont restés fidèles à l’idéal du Sopi pour lequel nous avons sacrifié notre jeunesse sortent de l’ombre et se joignent au combat qui dépasse nos destins individuels pour embrasser le devenir de notre Nation. C’est le combat contre la violation de la Constitution et l’instauration d’une monarchie. S’ils laissent Abdoulaye Wade agir contre la souveraineté populaire, ils auront trahi l’idéal pour lequel ils s’étaient battus. Le moment est venu pour qu’à l’Assemblée nationale, au Sénat, au sein de la Cap 21 comme dans le Pds, ceux qui tiennent encore à la République se lèvent pour la défendre. J’ai entendu Lamine Ba dire qu’il avait promis à sa mère qu’il se battrait pour améliorer le sort des plus démunis et que pour être fidèle à cette promesse, il est obligé de se désolidariser de Wade. J’ajouterai que si je tiens tant à la Justice, c’est par souci de liberté et par loyauté à un principe que m’a enseigné Jean Jacques Rousseau. Nous devons nous battre pour qu’aucun citoyen ne soit assez riche pour en acheter un autre et que nul ne soit assez pauvre pour se laisser vendre.
Le wadisme a été une monstrueuse accumulation de richesses dans ses mains, qu’il utilise pour s’acheter l’assentiment des plus pauvres. Il se prévaut de ses quelques réalisations, mais que valent-elles, quand elles sont la cause de nos misères ? Ce n’est pas du libéralisme, c’est de l’esclavagisme. Ceux qu’il menace de ses foudres se taisent et lui obéissent par acte de nécessité, pas de volonté. Je veux dire à ceux-là qui sont encore habités par la peur, que c’est la force qui opprime les hommes, mais c’est leur lâcheté qui les maintient dans l’oppression.
SJD
PS : J’ai évoqué dans ma chronique radiophonique du mardi, l’enrichissement spectaculaire de Lamine Faye, garde du corps d’Abdoulaye Wade, devenu semble-t-il, « commandant ». J’ai parlé de son château de Ngaparou, de ses deux maisons aux Almadies et de sa villa de Nord-Foire, pour quelqu’un qui habitait au domicile de ses parents avant l’alternance. Hier, un inconnu m’a laissé un mystérieux message sur ma boîte vocale : deux coups de feu.
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